Source: Université de Sherbrooke

Une des façons les plus élégantes de faire avancer la science consiste à établir des analogies entre deux phénomènes apparemment différents pour aider la compréhension du fait méconnu. Une équipe de physiciens a établi une de ces analogies qui, un jour, pourrait permettre de fabriquer des matériaux supraconducteurs à haute température.

"Si on arrivait à produire de tels matériaux, sans avoir besoin de les réfrigérer pour qu'ils transportent l'électricité sans résistance, une révolution majeure naîtrait", signale André-Marie Tremblay, professeur au Département de physique de l'Université de Sherbrooke (Québec) et membre de l'équipe de chercheurs. Dans ces conditions, l'énergie en provenance des centrales circulerait dans les fils sans aucune perte. Des champs magnétiques intenses pourraient également être atteints, et les ordinateurs quantiques deviendraient accessibles.

L'analogie avec l'eau

Outre le professeur Tremblay, les recherches ont été conduites par Patrick Sémon, doctorant à la Faculté des sciences, de même que Giovanni Sordi, lecturer au Royal Holloway de l'Université de Londres et ancien étudiant à l'UdeS. Kristjan Haule, professeur à la Rutgers University (New Jersey), fait aussi partie de l'équipe. Leur découverte a récemment été publiée dans les Scientific Reports, une publication des éditeurs de Nature.

En résolvant des modèles mathématiques à l'aide de méthodes numériques et du superordinateur Mammouth, les chercheurs ont obtenu des résultats qu'ils ont pu interpréter à l'aide d'une analogie avec l'eau: à haute température, la différence entre l'eau et la vapeur disparaît, mais pas complètement.

Dans le plan pression-température, il existe une ligne dite "ligne de Widom", où plusieurs changements rapides, par exemple dans la viscosité, se produisent. Les chercheurs ont trouvé l'analogue de ce phénomène dans les supraconducteurs où, dans le plan température-densité, les propriétés électroniques changent très rapidement le long d'une ligne.

"Ces changements rapides peuvent être compris comme étant la manifestation d'une ligne de Widom, explique le professeur Tremblay. Cette ligne émane de deux phases distinctes à basse température: une phase conductrice, analogue au liquide, et une phase presque isolante, analogue à la vapeur." Cette dernière phase, presque isolante, s'appelle "pseudogap". Elle est nuisible à la supraconductivité et donc un sujet d'études approfondies depuis plusieurs années.

Cette nouvelle interprétation jette de la lumière sur le pseudogap. Celui-ci n'est pas une forme déguisée de supraconductivité et il peut exister sans l'apparition de nouveau type d'ordre; une modulation régulière de la charge étant un exemple d'ordre.

Les explications antérieures du phénomène du pseudogap se concentraient exclusivement sur la recherche de ces nouveaux types d'ordre. Par analogie avec le cas de la transition liquide-vapeur, la transition métal-pseudogap est une conséquence directe de la compétition entre l'agitation thermique et l'effet des interactions.

"Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il apparaît impossible d'éviter cette phase pseudogap, nuisible à la supraconductivité. Elle s'avère intrinsèque au fait que les interactions entre électrons sont fortes dans ces matériaux, tout comme l'interaction entre atomes est forte dans l'eau", conclut le chercheur.

Référence: Article scientifique paru dans Scientific Reports