A l'Institut Curie, Matthieu Piel, chargé de recherche CNRS, et son équipe développent des approches innovantes pour étudier la cellule et son fonctionnement. Grâce à des outils microscopiques, Julie Lafaurie-Janvore, doctorante dans cette équipe, a découvert comment se déclenche la dernière étape de la division cellulaire, le moment clé où les deux cellules filles se séparent définitivement pour aller "vivre leur vie". Et avant de couper le cordon, ces deux cellules prennent leur temps pour s'assurer de bien trouver leur place dans le tissu.

Avec cette découverte publiée dans Science du 29 mars 2013, l'équipe de Matthieu Piel apporte de nouvelles connaissances sur la division cellulaire et les verrous de sécurité existant pour éviter l'apparition de cellules défectueuses pouvant conduire au cancer.

La division cellulaire est une étape essentielle de la vie de toute cellule. Elle peut se résumer comme suit: une cellule mère se divise en deux cellules filles identiques. Toute erreur ou étape incomplète lors de la division cellulaire peut altérer la fidélité de reproduction des constituants cellulaires et entraîner l'apparition de cellules défectueuses pouvant déclencher des cancers.

Au début de la division, la cellule a déjà dupliqué ses constituants, notamment les chromosomes, les structures qui portent les gènes. Ensuite un "ballet" moléculaire se met en place pour les séparer. A la fin de la division, les chromosomes séparés sont ré-enveloppés dans une membrane qui va former le noyau de chacune des deux cellules filles. La zone centrale se rétrécit, divisant le cytoplasme – le contenu cellulaire – entre les deux cellules filles. A ce stade, un pont cytoplasmique, sorte de cordon ombilical micrométrique, les relie encore. Sa rupture marque la séparation définitive des deux cellules filles.

C'est sur cette dernière étape irréversible – souvent la plus longue de la division – que s'est penchée l'équipe de Matthieu Piel (unité Compartimentation et dynamique cellulaires – CNRS / Institut Curie). De nombreux acteurs de cette séparation ont d'ores et déjà été identifiés, mais la manière dont se déclenche la rupture définitive entre les deux cellules filles reste méconnue.

"Stabilité plutôt que rapidité" pour les cellules filles

L'équipe de Matthieu Piel dispose de tout un arsenal de micro-outils pour reproduire in vitro l'environnement des cellules au sein d'un tissu. Grâce à une collaboration avec des physiciens de l'Institut Curie et du laboratoire Interdisciplinaire de Physique (CNRS/Université Joseph Fourier) à Grenoble, Julie Lafaurie-Janvore a ainsi pu apporter au cours de sa thèse dans cette équipe un nouvel éclairage sur la division cellulaire. Elle a notamment fait un constat assez surprenant (qui lui a valu d'être récompensée par le prix de thèse de la Fondation Réaumur des Sciences du Vivant): quand les cellules filles tirent sur le pont cytoplasmique, cela ne facilite pas sa coupure mais au contraire la retarde.

"Lorsqu'une trop forte tension existe entre les cellules filles, les mécanismes moléculaires assurant la coupure sont bloqués" explique Julie Lafaurie?Janvore. "Un phénomène qui leur permet de rester en contact tant qu'elles n'ont pas trouvé un environnement stable pour s'implanter après la division". Les cellules s'assurent ainsi de bien trouver leur place dans l'organisme avant de couper le cordon.

Les chercheurs viennent très sûrement de découvrir un nouveau point de contrôle essentiel à la formation correcte des organes et au maintien de l'intégrité des tissus de l'organisme. Ce travail apporte de nouvelles connaissances sur la division cellulaire et sur le contrôle de son déroulement, assurant ainsi, au fil des générations, non seulement la bonne transmission du patrimoine génétique et des constituants cellulaires, mais aussi le positionnement correct des cellules filles au sein de l'organisme. Enfin, la compréhension de l'ensemble des verrous de sécurité garantissant la qualité de la division cellulaire permet aussi d'éclairer les mécanismes dérégulés dans les cellules tumorales.

Référence: ESCRT?III assembly and cytokinetic abscission are induced by tension release in the intercellular bridge Julie Lafaurie?Janvore, Paolo Maiuri, IrèneWang, Mathieu Pinot,Jean?Baptiste Manneville, Timo Betz, Martial Balland, Matthieu Piel - Science, 29mars 2013, publication en ligne,[DOI:10.1126/science.1233866]