L'avènement d'Internet aurait dû accroître de manière forte la productivité des collaborateurs au sein de l'entreprise. Les études montrent que ça n'est plus le cas.

L’adoption massive d’Internet par les entreprises depuis les années 2000 s’est accompagnée de la croyance en l’avènement de gains de productivités démesurés rendus possibles par la technologie.

Aujourd’hui il semble bien que le miracle n’aura pas lieu. Si la productivité continue à augmenter, elle le fait désormais à un rythme très faible, comme si on avait déjà atteint la limite de ce que qu’Internet pouvait nous apporter.  Récemment, un article du New Yorker se demandait logiquement si malgré les innovations incessantes et le place croissante d’Internet nous n’étions pas à l’orée d’une longue période de stagnation.

Depuis sa généralisation dans l’entreprise, Internet et ses outils ont principalement servi a améliorer l’existant. A faire plus vite ce qu’on faisait avant, en s’affranchissant de certaines contraintes mais sans vraiment remettre en cause la manière dont on faisait les choses. Or, il ne faut pas s’attendre à ce qu’une technologie dont l’efficacité repose sur un certain nombre d’hypothèses délivre son plein potentiel lorsque les hypothèses en question ne sont pas valides. Autrement dit, une technologie dont la valeur repose sur la capacité de tous à se connecter, échanger, se coordonner, échanger, créer, n’est que d’une utilité très marginale dans un contexte où le travail est prescrit, les processus rigides, les modes de communication et de prise de décision descendants et, finalement, la capacité de chacun de prendre l’initiative pour décider, proposer et enrichir son travail très faible.

Dans ce sens, Internet est soumis aux mêmes règles que n’importe quelle technologie. Au départ, elle améliore les systèmes existants, mais pour en tirer le meilleur il faut des modes opératoires conçus pour en tirer partie. On a tiré le meilleur d'Internet appliqué à des modes de travail hérités du milieu du siècle dernier. Pour aller plus loin, il faut désormais changer de modèle et optimiser nos organisations pour le travail en réseau, la collaboration, la créativité et l'autonomie.

Croire qu’internet peut permettre une amélioration exponentielle de la productivité des collaborateurs, c’est croire que le collaborateur dispose de la même marge de manœuvre que l’internaute. Qu’il a le droit à l’initiative, à la prise de parole, qu’il peut librement se connecter à ses pairs, qu’il est capable de décider ce qui est le meilleur pour lui, de la meilleure manière de réaliser sa mission, qu’il opère dans des dispositifs « à plat », non hiérarchiques. Ce qui n’est manifestement pas le cas.

C’est d’ailleurs ce que confirme une autre étude de Deloitte encore plus inquiétante que l’article du New Yorker. Elle nous montre qu’en dépit de l’accroissement de la productivité les entreprises ont vu le rendement de leurs actifs retomber à 25% de leur niveau de 1965. La raison : alors que l’essentiel de la valeur créée repose aujourd’hui sur des actifs immatériels (savoirs, capital humain, innovation…) les modes d’organisation et de management actuels, conçus pour l’économie industrielle, ne permettent pas développer efficacement les actifs en question. Ce n’est ni le savoir, ni la capacité d’innover et trouver des solutions, ni la capacité à se coordonner de manière agile qui manque à l’entreprise. C’est la capacité d’identifier, mobiliser et transmettre les savoirs, de valoriser le potentiel créatif de ses collaborateurs, la volonté de donner davantage d’autonomie dans le travail. Et aucune technologie ne résoudra jamais ces problèmes qui sont d’ordre organisationnels, humains, culturels.

Cela doit nous faire prendre conscience de deux choses.

La première est qu’on n’est pas certains de savoir vraiment mesurer les choses aujourd’hui, dans un monde où les indicateurs d’hier ne sont plus tous pertinents. La productivité n’est plus liée au temps passé, le travail n’est plus une répétition immuable de tâches et de séquences à l’identique. Où faire mieux est certainement devenu beaucoup plus important que faire plus.

La seconde est qu’aussi impressionnante qu’elle soit, la promesse d’Internet en termes de productivité ne se réalisera qu’au prix d’un changement profond des modes de travail et des organisations.

Faute d’innovation managériale et organisationnelle, on peinera de plus en plus à valoriser l’innovation technique à l’avenir.