Un astronome argumente un dossier noir de la physique en traitant d’arnaques et d’impostures la matière noire et l’énergie noire, deux des piliers de l’explication actuelle du fonctionnement de l’univers.

L’histoire de la physique est jalonnée de notions plus ou moins fumeuses qui servent, un temps, à boucher les trous des théories de l’époque.  La plus célèbre de ces béquilles scientifiques est sans doute l’éther. Parmi les plus récentes, pourrait bien figurer la matière noire. Suite aux derniers travaux des chercheurs dans ce domaine, l’Express titre: «Matière noire: ils ont cartographié l'invisible». Invisible? Certes. D’autant que la matière noire est hautement hypothétique.

Lundi 9 janvier 2012, lors d’une conférence de l'American Astronomical Society qui se tenait à Austin (Texas),  un groupe de chercheurs à la tête desquels on trouve Catherine Heymans, de l'Université d'Edimbourg (Ecosse) et Ludovic Van Waerbeke, de l'Université de Colombie-Britannique (Canada) ont divulgué leur résultat: une carte de la matière noire dans le cosmos, «d'une étendue sans précédent», note l’AFP dans une dépêche enthousiaste… Et de préciser : «Ces astronomes ont pu réaliser cette carte en analysant quelque dix millions de galaxies dans quatre régions différentes du ciel dont la plupart se situent à une distance de six milliards d'années lumière (une année-lumière correspond à 9.460 milliards de km), soit environ la moitié de l'âge de l'Univers, estimé à 13,7 milliards d'années. Pour cerner la matière noire, ils ont étudié les distorsions de la lumière émise par ces galaxies qui est déviée par des masses de matière noire durant le long voyage pour atteindre la Terre. Il s'agit de la première observation de la matière noire sur de grandes échelles révélant la toile cosmique dans toutes les directions.»

A lire cette dépêche et les nombreux articles qu’elle a suscités, on imagine les astronomes traquant cette mystérieuse matière noire derrière leurs télescopes. Et reportant méticuleusement leurs observations sur une carte de l’univers. «Le principe majeur de la cartographie est la représentation de données sur un support réduit représentant un espace généralement tenu pour réel», nous indique Wikipédia. Mais peut-on cartographier une hypothèse? Produire une carte sans territoire?...

Imposture

Un livre qui vient de paraître sous le titre «Le théorème du jardin» (Edition Amds) jette le doute sur ce type de travaux financés notamment par l'European Research Council, l'Institut canadien de recherche avancée et le Centre canadien de données en astronomie. Son auteur, Christian Magnan est astronome, chercheur au Collège de France et il a travaillé à l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP) et à l’université de Montpellier.

Il n’hésite pas à écrire : «Je prétends que l’invention d’une matière inconnue – dite noire à cause de son invisibilité – est l’une des impostures les plus désolantes de la science moderne». L’ensemble de l’ouvrage est écrit sur le même ton exalté, d’une virulence si forte qu’elle peut parfois desservir son propos. Le désespoir du contestataire isolé, hurlant seul la vérité dans le désert, masque souvent l’amertume et l’aigreur d’un manque de reconnaissance professionnelle. Ce soupçon se révèle, la plupart du temps, justifié. Mais il peut exister des exceptions…

Auteur d’une douzaine d’ouvrages sur l’astrophysique, dont «Energie noire, matière noire» (Editions Odile Jacob, 2004), Michel Cassé fait, lui, plutôt partie des poètes vulgarisateurs de science. Astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique et au CNRS, il est loin de considérer la position de Christian Magnan comme celle d’un illuminé. «Bien sûr, son livre est fulminant, mais il faut écouter cette voie discordante dans le contexte d’une pensée très consensuelle, déclare Michel Cassé. Christian Magnan fait œuvre de salubrité face à une science dirigiste».  

La faute d'Einstein

Comment!? On nous aurait menti? Pas vraiment, mais, bon, il semblerait que l’on nous fasse prendre des hypothèses pour des notions quasi-acquises… Ce qui n’est pas si rare, en science. Sauf si ces hypothèses se révèlent hautement improbables. Et qu’elles servent surtout à masquer une profonde incertitude, tout en assurant la pérennité du financement des recherches.

C’est justement la position de Christian Magnan vis-à-vis, entre autres, de la matière noire et de l’énergie noire. Et Michel Cassé, sans utiliser un langage aussi violent, confirme que l’on peut légitimement douter de l’existence de l’une comme de l’autre.  

Pour quelles raisons? Tout d’abord parce que la matière noire n’est nécessaire que si l’on prend pour hypothèse que l’univers est homogène à grande échelle, ce que conteste férocement Christian Magnan. «Pourquoi la matière noire est-elle une farce? Parce que son existence n’a pas été prévue et n’est toujours pas prévue par une quelconque théorie», écrit-il. Si les astrophysiciens ont inventé la matière noire, c’est pour résoudre un problème issu de la relativité générale d’Einstein. 

Et si cette dernière fonctionne avec une extrême précision à l’intérieur du système solaire, il n’en va pas de même à l’échelle des galaxies. «Avec les équations d’Einstein, les planètes qui tournent au bord des galaxies devraient être éjectées. Or, elles ne le sont pas…», explique Michel Cassé. D’où la nécessité de l’existence… de la matière noire.

La gravité supplémentaire qu’elle engendre permettrait de maintenir les planètes à l’intérieur des galaxies. L’ennui, pour la crédibilité de la matière noire, c’est qu’il en faut vraiment beaucoup pour qu’elle joue un tel rôle. D’après les calculs, elle ne représenterait pas moins de 23% de la masse de l’univers…  

Matière noire ≠ énergie noire

Autre problème obscur de la physique: la force de gravitation devrait conduire à un effondrement de l’univers sur lui-même. Albert Einstein avait remarqué ce petit problème. Pour le résoudre sur le papier, il n’avait pas hésité à trafiquer un peu ses équations en y introduisant, un jour de février 1917, un nouveau paramètre baptisé «constante cosmologique», lambda (Λ), qu’il calcule pour obtenir ce qu’il croyait alors être la réalité : un univers statique.

Or, en 1929, Edwin Hubble (qui allait donner son nom au télescope spatial) découvre que cet univers était en fait en expansion. Einstein se mord alors les doigts, considérant que sa constante cosmologique est «la plus grande bêtise de sa vie»…

Qu’à cela ne tienne ! En 1998, Paul Perlmutter et Adam Riess découvrent que l’expansion de l’univers n’est pas constante mais qu’elle accélère. Tous deux obtiennent le prix Nobel de physique en 2011. Et c’est le grand retour de la constante cosmologique! Cette création abstraite d’Einstein, jetée au panier par son auteur, décrit une nouvelle force baptisée «énergie noire».

Michel Cassé souligne que matière noire et énergie noire, nonobstant l’équivalence masse-énergie du même Einstein (E=MC2), n’ont strictement rien en commun. «Il s’agit même de forces opposées, même si elles sont liées à la gravitation», précise-t-il. Quand la matière noire sert à attirer les astres vers le centre de la galaxie pour éviter qu’ils ne la quittent, l’énergie noire agit, à l’inverse, pour accélérer l’expansion de l’ensemble de l’univers.

«Une observation discutable, mais non discutée, un paramètre parachuté : bigre, les cosmologistes s’estimeraient-ils exemptés des obligations d’honnêteté de la recherche physique?», écrit Christian Magnan. De son coté, Michel Cassé qualifie l’énergie noire de «plus grand scandale de la physique». Un jugement gênant lorsque l’on parle de 72% de la densité d’énergie totale de l’univers, selon les estimations de la NASA… 

Comment en est-on arrivés là? Christian Magnan et Michel Cassé accusent un vide théorique sidéral dans la recherche actuelle en astrophysique. Un vide comblé par l’activité qui occupe l’essentiel du temps des scientifiques aujourd’hui : l’utilisation des ordinateurs. Le mot d’ordre, dans de nombreux laboratoires, serait «Calcule et tait-toi!».

Des pistes de recherches, pas des arnaques

Pas très stimulant pour la réflexion… La science officielle, comme par le passé, exerce une pression souvent écrasante sur des chercheurs dont l’avenir n’est pas forcément assuré, surtout en temps de crise. Ainsi, pendant que leurs patrons remplissent des dossiers pour obtenir des crédits et que leurs services de presse gonflent leurs résultats, les chercheurs moulinent des données…  « Il faut bien vivre », reconnaissent discrètement certains d’entre eux.

Que l’univers qu’ils observent contienne plus de 95% de matière et d’énergie invisibles ne les gêne donc pas outre mesure. Ainsi, pour Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Univers et Théorie (LUTH) de l’Observatoire de Meudon, par ailleurs l’un des meilleurs poètes du cosmos et grand vulgarisateur de l’astrophysique, le débat ouvert par Christian Magnan ne se justifie pas. «S'il est vrai que la nature de la matière noire, et plus encore celle de l'énergie sombre posent de nombreuses questions théoriques, il ne s'agit nullement "d'arnaques", mais de  pistes de recherches passionnantes qui, même si elles s'avéraient un jour inexactes, auront fait progresser notre compréhension de la cosmologie», estime-t-il.

Nul doute qu’il manque aujourd’hui un nouvel Einstein pour franchir un nouveau pas. Tous les espoirs sont concentrés sur le Large Hadron Collider (LHC) de Genève pour vérifier certaines hypothèses comme l’existence du boson de Higgs. Aucune des voies alternatives telles que la théorie MOND, la théorie des cordes ou des supercordes, la théorie M ou celle de la supersymétrie sont loin d’être parvenues à s’imposer.

«Ce ne sont pas les modèles de "gravitation newtonienne modifiée", à mes yeux stupides, qui peuvent fournir une explication alternative. C'est bien beau de critiquer le consensus en place, encore faut-il proposer quelque chose de valable pour le remplacer, sinon c'est stérile», lance Jean-Pierre Luminet.

De fait, la critique de Christian Magnan ne le conduit pas à des propositions précises pour sortir l’astrophysique de l’ornière actuelle. Il plaide pour l’humilité. «Nous ignorons quelles sont les équations du mouvement des galaxies tout comme les mécanismes de formation des étoiles…», note-t-il. Que faire alors? «Enseigner, valoriser la culture scientifique», répond l’astronome rebelle. Pas de quoi décrocher des crédits mirobolants…  

Michel Alberganti

Le débat sur la matière noire a été l'objet d'une des émissions de radio que j'anime, Science Publique sur France Culture. Le 3 février, atour de Francis Bernardeau, chercheur au service de physique théorique du Commissariat à l'énergie atomique, Michel Cassé, astrophysicien, directeur de recherche au Commissariat à l'Energie Atomique, Marie-Noëlle Célérier, chercheur au Laboratoire Univers et Théorie et Christian Magnan, astronome, auteur de Le théorème du jardin (Amds éditions, 2011), nous avons débattu des raisons de croire ou pas à l'existence de la matière noire. Sans, pour autant, se mettre d'accord...