Source: Marie Lambert-Chan - Université de Montréal

Les scientifiques sont nombreux à suggérer que les gens atteints de troubles du spectre autistique ont du mal à discerner l'expression des émotions, ce qui pourrait expliquer leurs problèmes à communiquer et à interagir avec les autres. "Mais les résultats qu'ils ont obtenus jusqu'à présent sont plutôt mitigés", juge Geneviève Charbonneau. Cette doctorante en psychologie de l'Université de Montréal fait partie d'une équipe de chercheurs qui a récemment apporté des preuves plus solides et complètes de cette théorie dont les détails ont été publiés dans la revue Neuropsychologia.

"Selon nous, la majorité des études qui ont porté sur ce sujet comportent trois limites notables, déclare-t-elle. Plusieurs ont évalué la perception visuelle en présentant des images statiques de visages aux participants autistes. Or, le mouvement de l'expression faciale est important dans la reconnaissance des émotions. Les études qui, de leur côté, ont examiné les émotions transmises par la voix le faisaient à l'aide de phrases ayant un fort contenu sémantique. Cependant, afin de cibler de manière sélective la capacité à traiter l'expression des émotions, il serait préférable d'utiliser des intonations non verbales, car les autistes peuvent avoir des difficultés de langage. Enfin, la plupart de ces recherches se concentraient sur la perception visuelle ou auditive séparément, mais très peu se sont penchées sur l'intégration multisensorielle des émotions, c'est-à-dire la faculté de combiner des informations provenant de plusieurs sens pour en tirer une signification. Pourtant, il a été démontré que nous reconnaissons plus rapidement une émotion lorsque nous entendons la voix et apercevons le visage en même temps."

Geneviève Charbonneau et ses collègues ont donc procédé à ces corrections. Ils ont demandé à 32 personnes atteintes de troubles du spectre autistique et 18 sujets témoins de nommer le plus rapidement possible les émotions de peur et de dégout exprimées à travers des stimulus visuels, auditifs et audiovisuels.

"On a eu recours à des vidéos qui montraient des acteurs dont le visage était neutre au départ, puis évoluait vers l'émotion voulue. Pour ce qui est de la perception auditive, nous avons préféré utiliser des bandes sonores où l'on pouvait entendre des interjections exprimant la peur et le dégout", précise l'étudiante, qui signe cette étude avec les professeurs Franco Lepore, Maryse Lassonde, Laurent Mottron et Olivier Collignon, de l'Université de Montréal, le professeur Armando Bertone, de l'Université McGill, et l'assistant de recherche Marouane Nassim, du Centre d'excellence en troubles envahissants du développement de l'UdeM.

Les participants autistes étaient en moyenne moins performants que les sujets témoins pour reconnaitre l'expression des émotions, que celles-ci soient présentées de manière visuelle, auditive ou audiovisuelle. "Les stimulus audiovisuels augmentaient leur capacité à détecter les émotions, mais ce gain demeurait plus faible que celui observé chez les autres individus de l'étude", ajoute Geneviève Charbonneau.

Les chercheurs ont aussi évalué l'habileté des personnes autistes à déceler les émotions dans le bruit auditif ou visuel. "Il y a toujours des interférences qui réduisent notre perception des émotions, comme la ventilation qui couvre la voix ou des objets qui camouflent le visage, signale la doctorante. Nous avons mesuré quelle quantité de bruit un sujet pouvait tolérer pour obtenir 80 % de bonnes réponses." Les sujets autistes se sont révélés plus sensibles à ces interférences que les autres participants.

La cause de la capacité altérée des autistes à percevoir les émotions échappe encore à la science. "Certains croient que l'amygdale s'activerait différemment, ce qui modifierait la perception. L'intégration multisensorielle serait bouleversée par une plus faible connectivité entre les régions de leur cerveau. Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses hypothèses émises par la communauté scientifique", rapporte Geneviève Charbonneau.

C'est le prochain défi qui attend cette équipe de chercheurs: vérifier les différentes activations cérébrales qui se produisent au cours de la perception et de l'intégration des émotions chez les personnes autistes. Ils devraient s'y mettre dès cet été.