Source: BE Etats-Unis numéro 331 (16/05/2013) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/ ... /73055.htm

Trente ans après la découverte du VIH (Virus de l'Immunodéficience Humaine), les Nations Unies recensaient en 2012 près de 34 millions de personnes séropositives à travers le monde. Si la mortalité liée au SIDA (Syndrome d'ImmunoDéficience Acquise) a récemment commencé à diminuer, l'épidémie fait toujours chaque année plus de 1.5 million de victimes dont plus de 30% d'enfants. Alors que la plupart des vaccins disponibles contre d'autres pathogènes protègent grâce à la production d'anticorps neutralisants, l'extrême diversité du VIH rend l'induction d'anticorps capables de neutraliser une grande variété de souches de VIH particulièrement difficile. Récemment, plusieurs études ont montré que deux ans après une infection par le VIH, environ 15% des personnes séropositives développent des anticorps neutralisants à large spectre. Si la progression de la maladie n'est pas ralentie chez ces individus, des expériences chez le singe ont toutefois montré que l'administration passive et préalable de ce type d'anticorps protège de l'infection. Ces observations sont donc encourageantes et suggèrent qu'il pourrait être possible d'obtenir une telle réponse immunitaire par vaccination dans la population générale.

Durant les deux premières décennies suivant la découverte du virus, seuls quatre anticorps neutralisants à large spectre ont été identifiés. Récemment, de nouvelles stratégies et des avancées technologiques ont permis l'isolation de nombreux nouveaux anticorps ayant un pouvoir neutralisant 100 fois plus important et couvrant deux à trois fois plus de souches de VIH (4-7). L'analyse des caractéristiques fonctionnelles et structurales de ces anticorps a montré que des différences très subtiles du mode de reconnaissance de l'épitope ont un effet radical sur le potentiel neutralisant. Par ailleurs, tous ces anticorps ont un taux de mutations somatiques remarquablement élevé suggérant un processus de maturation complexe. Plusieurs études rapportent également que le développement de tels anticorps est favorisé par une charge virale élevée, suggérant un rôle de la diversité antigénique. Pour tenter de reproduire le développement de tels anticorps grâce à la vaccination, il est donc important de comprendre leur processus de maturation et la co-évolution du virus au cours de la réponse immunitaire.

Les récentes avancées technologiques de séquençage ADN permettent désormais de détecter les séquences de rares cellules B précurseurs et lymphocytes B intermédiaires précoces d'anticorps matures préalablement identifiés. Dans un article paru en 2011 dans le journal Science, Wu et al. rapportent l'évolution convergente d'anticorps neutralisants à très large spectre (VRC01, PGV04, CH31) dirigés contre le site d'interaction du récepteur CD4 (CD4bs), provenant de trois individus différents et utilisant tous le même domaine variable de la chaine lourde d'immunoglobuline. L'analyse phylogénétique croisées de l' "antibodyome" de ces différents individus a permis de définir des intermédiaires de maturation qu'il serait certainement avantageux de pouvoir stimuler à l'aide d'un immunogène adéquat. Pour favoriser la maturation d'anticorps neutralisants à large spectre, il est primordial d'identifier les séquences des protéines d'Enveloppe du virus (Env) ayant permis 1) la sélection des précurseurs germinaux; et 2) la stimulation des différents intermédiaires au cours du développement de ces réponses. Afin de répondre à ces questions, les groupes de Pascal Poignard et de Dennis Burton à IAVI (International AIDS Vaccine Initiative, The Scripps Research Institute, San Diego, CA) ont débuté une étude longitudinale grâce à une cohorte de plus de 400 individus primo-infectés en Afrique Sub-Saharienne appelée "Protocol C". L'accès à de nombreux échantillons longitudinaux permettra une analyse extrêmement poussée de l'évolution virale et de la maturation des anticorps chez de nombreux individus. Il sera également possible de comparer la maturation des anticorps chez des individus présentant une réponse neutralisante à large spectre dirigée contre un même épitope.

En avril 2013, le journal Nature a publié un exemple unique et encourageant de co-évolution du virus et d'une réponse anticorps neutralisante contre le CD4bs résultant de l'activation des précurseurs B germinaux par la protéine Env du virus VIH "fondateur transmis" (F/T). L'analyse révèle une diversification virale très précoce et intense autour de cet épitope et une maturation concomitante de la réponse anticorps qui, s'adaptant aux mutations de la protéine Env, devient de plus en plus spécifique de l'épitope optimal. Cet exemple est d'autant plus intéressant que la maturation de ce nouvel anticorps neutralisant est bien moins complexe que celle des anticorps du type VRC01. Nécessitant beaucoup moins de mutations hypersomatiques, il pourrait être plus facile à induire par la vaccination. Il est désormais clair que l'évolution du virus, cherchant à échapper au système immunitaire, guide la maturation des anticorps largement neutralisants de manière très spécifique vers la reconnaissance d'un épitope minimal conservé. Ces travaux suggèrent que l'immunisation avec des protéines Env de séquences similaires à celles des mutants d'échappement successifs qui ont permis la maturation de cet anticorps pourrait conduire au développement d'anticorps neutralisants à large spectre par vaccination. Cependant, la très faible affinité des précurseurs germinaux pour la majorité des protéines Env est une des principales raisons avancées pour expliquer la rareté de ces anticorps neutralisants. En effet, il est possible que les molécules Env ayant initié la maturation de ces réponses anticorps neutralisantes à large spectre soient issues de virions rares non-viables et non-productifs, sondés par le système immunitaire mais qu'il sera extrêmement difficile de détecter et par conséquent d'utiliser en tant que vaccin.

Pour anticiper ce problème, Jardine, Julien, Menis et al., décrivent dans une étude indépendante parue dans le journal Science, la construction d'une molécule d'Env artificielle capable d'interagir avec des précurseurs germinaux des anticorps à très large spectre du type VRC01. Ce groupe, mené par Bill Schief (The Scripps Research Institute, San Diego, CA), a utilisé une stratégie computationnelle, biophysique, structurale et biologique visant à cibler directement une sous-population de cellules B naïves/germinales précurseur d'anticorps neutralisants de la famille VRC01. Cet article détaille la conception d'une nanoparticule protéinaire qui combine trois modifications remarquables: 1) la reconstruction de la surface de la glycoprotéine Env native du VIH pour accentuer l'exposition du site d'interaction avec l'anticorps; 2) la mutation de huit acides aminés clés, dont quatre à l'interface, pour améliorer l'affinité de l'anticorps germinal envers cette molécule; et 3) le greffage de 60 copies de cette molécule sur une nano-plateforme protéinaire pour mieux stimuler les récepteurs des cellules B naïves/germinales. Cette nanoparticule protéinaire sera prochainement testée pour sa capacité à activer une réponse spécifique de cellules B naïves/germinales dans le cadre de vaccinations.

Malgré le potentiel énorme que représente la possibilité de cibler directement une sous-population de cellules B germinales lors de vaccination, il convient également de guider la maturation de ces lymphocytes pour qu'ils génèrent des anticorps neutralisants à très large spectre. A cette fin, il sera certainement nécessaire de présenter une molécule répliquant le plus possible la conformation native du trimère d'Env sur le virus. En effet, il a été récemment démontré pour l'anticorps neutralisant à très large spectre PG9, que même si la majorité des interactions avec la protéine Env se font avec un seul protomère du trimère, le trimère lui-même est essentiel pour présenter de manière adéquate toutes les régions reconnues par l'anticorps. Ce travail publié dans PNAS par Julien, Lee et al. et mené par Andrew Ward et Ian Wilson (The Scripps Research Institute, San Diego, CA), décrit également l'élaboration d'une molécule trimérique soluble, considérée à ce jour comme une des meilleures reproductions du trimère d'Env à la surface du virus. Cette molécule intéressante est actuellement en cours d'étude en tant que vaccin.

A terme, la vaccination contre le VIH nécessitera probablement la combinaison d'antigènes comme ceux décrits dans cette brève, soit en "cocktail", soit en administrations successives, pour guider les cellules B tout au long de leur maturation. Finalement, la conception de molécules capables d'interagir avec des anticorps neutralisants à large spectre et leurs précurseurs n'est pas une fin en soi. Pour obtenir un vaccin et induire des réponses neutralisantes à large spectre, il faudra que ces molécules soient combinées à d'autres composants capables d'activer d'autres effecteurs du système immunitaire tels que les cellules T, pour générer une réponse immunitaire efficace et durable contre le VIH. La génération de molécules qui miment le virus, comme celles rapportées ici, sont cependant un premier pas crucial et constituent une avancée significative dans l'élaboration d'un vaccin contre le VIH. Le vaccin est peut-être enfin à notre portée !