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Pas à pas, les chercheurs avancent sur la piste des gènes prédisposant aux différentes tumeurs comme sur celle des traitements personnalisés

C'est en suivant les membres d'une famille qui développaient de nombreux cancers, aussi précoces que diversifiés, qu'une équipe de l'institut Curie (Paris) a réussi à mettre en évidence un gène de prédisposition commun à plusieurs types de tumeurs malignes, dont celles du rein et de la peau (mélanomes). Porté sur le chromosome 3 et appelé BAP1, ce gène sujet aux mutations était déjà connu pour prédisposer à des cancers des yeux (mélanome uvéal) et de la plèvre (mésothéliome). Cette découverte, réalisée par l'équipe de Marc-Henri Stern* vient d'être publiée dans l'American Journal of Human Genetics.

L'un des membres de la famille étudiée, qui était suivi de longue date par l'équipe du service de génétique de l'Institut Curie, avait développé successivement plusieurs atteintes du sein et du rein. Mais aucune altération de gène classique de prédisposition à ces cancers n'avait été décelée. Finalement, l'origine du mal a été identifiée : une mutation sur le gène BAP1 porté par le chromosome 3. "Rien ne nous orientait vers ce gène qui était connu pour prédisposer à des mésothéliomes et des mélanomes de l'oeil", note Marc-Henri Stern, coordinateur de l'étude.

Révolution génétique

Ce résultat a été confirmé par l'analyse des tumeurs rénales familiales : dans des cellules malignes, seule la copie mutée (donc non fonctionnelle) du gène BAP1 a été retrouvée. "Il arrive que certaines cellules perdent un chromosome. Si elles ont, au départ, deux bonnes copies du gène en question, cela n'est pas grave : la protéine peut toujours être fabriquée à partir de l'autre chromosome. Mais si les cellules ont une bonne et une mauvaise copies - ce qui est le cas lorsque l'on hérite d'une mutation transmise par l'un de ses parents -, il n'y a plus de bouée de secours. Après la perte du seul chromosome fonctionnel, la protéine BAP1 ne peut être fabriquée !" explique le chercheur. Or, la fonction la plus probable de cette protéine serait de bloquer, par un mécanisme encore inconnu, la prolifération tumorale.

Les équipes de l'Institut Curie ne se sont pas arrêtées là. Grâce à une collaboration avec d'autres chercheurs**, elles ont constitué la série la plus importante de familles avec un problème BAP1, ce qui est extrêmement rare. Elle a révélé que 6 des 11 familles comportaient un nombre anormalement élevé de cancers du rein. L'analyse génétique réalisée sur les tumeurs de 4 des 9 personnes atteintes a confirmé l'inactivation du gène BAP1 dans les cellules malignes. "Pour toutes ces familles, outre une surveillance ophtalmologique précoce, il est essentiel de mettre en place une surveillance rénale qui doit débuter dès l'âge de 25 ans", conclut Marc-Henri Stern qui rappelle que ces cancers ont une meilleure chance de guérison s'ils sont détectés tôt.

Ce travail apporte une élément de plus dans la construction du puzzle des gènes impliqués dans le cancer. C'est dans ce domaine que la révolution génétique a déjà donné le plus de résultats. Toutes les semaines ou presque, des gènes prédisposant à cette maladie sont mis en évidence. Très régulièrement, des avancées permettent de mieux cibler les traitements en prédisant l'intérêt (ou les risques) d'utiliser certaines chimiothérapies. Chacun de ces petits pas pour l'homme est une grande avancée pour l'humanité, de plus en plus confrontée à cette maladie.

* Génétique et biologie des cancers du sein héréditaires (Institut Curie/Inserm U830) en coordination avec le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie/Service de Génétique)

** L'équipe de Brigitte Bresac de Paillerets (Institut de cancérologie Gustave Roussy) et le laboratoire de Nadem Soufir (hôpital Saint-Louis/Inserm/université Paris-VII et de l'hôpital Bichat/AP-HP)