Par 

LE PLUS. Peut-être cherchez-vous à trouver une explication à vos pratiques sexuelles ? Selon une étude de la Texas Christian University, les jeunes filles qui ont grandi aux côtés de leur père auraient une sexualité moins délurée que celles qui ont été élevées sans présence paternelle. Analyse de Peggy Sastre, auteur de "No Sex" et "Ex Utero".

Dire "fille à papa", c'est bien souvent entendre un mélange de vie facile et de naïveté. Spontanément, on pourrait croire l'expression ancrée dans une bonne vieille psychologie de comptoir, n'allant pas plus loin que des corrélations établies par à peu près et mélangées au doigt mouillé.

Mais il arrive que les stéréotypes aient une once de vérité – c'est d'ailleurs ce qui fait leur succès – et en l'occurrence, il semblerait que les filles ayant profité de la présence d'un père pendant leur enfance aient une vie sexuelle moins délurée (et risquée) que celles ayant été élevées avec peu ou pas de présence paternelle. Et pour la première fois, une étude vient de démontrer tout cela empiriquement.

L'investissement paternel est une denrée rare

Depuis longtemps, des chercheurs ont observé que l'investissement paternel semble avoir un effet bénéfique et durable sur le bien-être d'un enfant, et ce sur bon nombre de critères. Il a par exemple été mis en évidence que les enfants ayant grandi en présence de leur père biologique ont moins de risques de tomber malade ou de mourir précocement que les autres (et pas uniquement dans les sociétés contemporaines et/ou industrielles).

L'investissement paternel est aussi associé à de meilleurs résultats scolaires dans l'enfance, un statut économique plus élevé à l'âge adulte et une plus grande mobilité sociale ascendante. Et si ces corrélations sont observées chez les deux sexes, les effets les plus marqués et les plus étudiés concernent l'absence du père et un développement (notamment sexuel et reproductif) accéléré chez les filles.

Dès 1982, les anthropologues Patricia Draper et Henry Harpending ont proposé la théorie de l'investissement paternel, établissant des liens spécifiques entre la présence du père et le développement sociosexuel de sa (ses) fille(s).

Ainsi, selon cette théorie, les filles seraient tout particulièrement sensibles à la disponibilité et à la qualité des soins reçus de leur père biologique, car il s'agirait d'autant d'indices sur la structure et les caractéristiques du système reproductif environnant.

L'absence d'un père – ou la mauvaise qualité de ses soins – signifierait que l'investissement masculin durable, dans un cadre reproductif, est une denrée rarissime et/ou inutile. Et les filles s’adapteraient à ces contraintes en modifiant leurs stratégies sexuelles afin (on connaît l'histoire) de maximiser leurs chances reproductives. Un environnement à faible investissement paternel produirait ainsi, chez les filles, un développement sexuel plus rapide, une entrée dans la vie sexuelle plus hâtive et, logiquement, des grossesses plus précoces.

En d'autres termes, si dans les parages les mâles vous semblent peu disposés à s'investir dans leur progéniture (la preuve : papa n'est plus là ou ne s'occupe pas bien de vous), rien ne sert de prendre votre temps à attendre l'éventuelle perle rare, sautez sur les premières occasions et tentez d'en tirer le meilleur, compte tenu des circonstances.

Le père joue un rôle crucial dans le développement sociosexuel des filles

En étendant la théorie de l'investissement paternel, on peut aussi voir comment des conditions écologiques difficiles (un environnement familial pauvre et/ou violent, par exemple) sont susceptibles de pousser les enfants qui y grandissent à accélérer leur développement et tirer au mieux parti d'une vie qui a toutes les chances d'être raccourcie. D'où des rapports sexuels et une reproduction précoces, des comportements à risque et le fait, en termes de progéniture, de préférer la quantité au détriment de la qualité.

De fait, plusieurs observations empiriques démontrent la pertinence de la théorie de l'investissement paternel. Les filles élevées dans des foyers où les pères sont absents ou peu coopératifs manifestent un développement pubertaire plus rapide, ont des rapports sexuels et tombent enceintes plus tôt, comptabilisent davantage de partenaires sexuels et de chances de divorcer que celles ayant été élevées dans un foyer à deux parents stables. L'effet est d'autant plus palpable que l'absence du père intervient tôt dans la vie de l'enfant et/ou sur une longue période.

Par ailleurs, ces effets sont bien plus importants que ceux que l'on peut observer en l'absence de soins maternels, ce qui indique que l'investissement paternel joue un rôle crucial dans le développement sociosexuel des filles.

En particulier, plusieurs études montrent qu'un désengagement paternel influe bien plus sur la prise de risques sexuels des filles que des garçons – et que cela concerne spécifiquement la prise de risques sexuels, et non la prise de risques en général. Et petit détail significatif, on n'observe pas de tels effets chez les filles orphelines de père, ce qui laisse entendre qu'il faut qu'il y ait désinvestissement volontaire pour qu'elles altèrent leurs comportements.

Pensées salaces et plans cul

Mais la littérature sur la question a beau être foisonnante et précise (bon nombre d'études impliquent des jumeaux, d'autres permettent d'exclure d'autres variables explicatives, comme le revenus des familles, leur origine ethnique ou encore l'influence génétique maternelle), il lui manquait un peu de randomisation, histoire d'examiner précisément le rapport de causalité entre investissement paternel et développement sociosexuel féminin.

C'est désormais chose faite avec une brillante étude questionnant empiriquement les corrélations entre désengagement paternel et choix sexuels féminins.

Ici, Danielle DelPriore et Sarah Hill, deux psychologues américaines, montrent que, chez les femmes, le désengagement paternel :

- augmente leurs pensées salaces

- les pousse à voir les plans cul d'un meilleur œil

- multiplie le nombre de partenaires avec lesquels elles envisagent de coïter

- tend à les dégoûter du préservatif

Quatre prédictions confirmées par cinq petites expériences, toutes (sauf la dernière) menées auprès de jeunes étudiantes hétérosexuelles, majoritairement blanches et ayant quasiment toutes grandi dans des foyers à deux parents encore mariés au moment de l'étude.

Utilisation de mots à connotation sexuelle

Des cobayes à chaque fois divisés aléatoirement en deux groupes : celles qui devaient penser aux absences de leur père, et celles à qui on demandait de réfléchir à un autre sujet. De plus, à chaque fois, la consignation des données était effectuée à l'aveugle, par des assistants qui ne connaissaient pas le but de l'étude.

Dans la première, les étudiantes devaient passer un test verbal composé de mots à trous susceptibles donner, ou non, des termes à connotation sexuelle.

Exemple : S_X et _AK_D pouvant être complétés en SEX (sexe) ou SIX, NAKED (nu) ou BAKED (cuit)

Résultat : les jeunes femmes ayant été forcées de se souvenir d'un moment de leur enfance où leur père avait été absent trouvaient davantage de mots sexualisés que les autres.

Dans la seconde, elles passaient un test standardisé dit "d'orientation sociosexuelle", comprenant des questions du genre : "Le sexe sans amour ne me pose pas de problème", "Je peux facilement m'imaginer avoir des relations avec plusieurs partenaires différents" ou encore "Je dois me sentir émotionnellement proche de quelqu'un pour envisager d'avoir des relations sexuelles avec lui". Ici, les femmes qui avaient pensé aux absences paternelles manifestaient davantage de "frivolité" que les autres.

"Je n'aime pas utiliser des préservatifs"

Dans la troisième expérience, il s'agissait de comparer le désengagement paternel avec le désengagement amical. Avant de remplir le précédent questionnaire, les participantes devaient penser à un moment où leur père OU un ami proche avait été absent. Résultat : le manque d'investissement paternel jouait bien plus sur le profil sexuel des étudiantes qu'une défection amicale.

Idem, dans la quatrième expérience, avec cette fois-ci une comparaison entre désinvestissement paternel, maternel et prise de risques sexuels et non sexuels. Résultat : le plus gros effet concernait l'absence paternelle sur les risques spécifiquement sexuels.

Enfin, les psychologues ajoutèrent quelques étudiants à leur cohorte pour voir quels effets le désengagement paternel pouvait avoir sur l'usage de préservatifs, en le comparant au désengagement amical. Et, encore une fois, elles notèrent un effet plus important de l'absence de père sur les filles, qui approuvaient davantage que les garçons des assertions du genre "Je n'aime pas utiliser des préservatifs car cela diminue le plaisir sexuel" ou "Les préservatifs cassent l'ambiance et vous coupent dans votre élan".

Films, clips et bimbos ne sont les seuls responsables de l'hypersexualisation 

Bien évidemment, toute innovante qu'elle est, cette étude a ses limites. En particulier, elle a beau être expérimentale, elle demeure "théorique" – penser à l'absence de son père n'est pas vivre cette absence, et répondre à des questionnaires n'est pas faire ces choix "sur le terrain". Mais elle permet quand même d'enfoncer un peu plus profondément le clou sur le lien de causalité qui semble exister en investissement paternel et destinée sexuelle et reproductive féminine.

Son autre intérêt, c'est de couper l'herbe sous le pied aux paniqués de la modernité qui associent des phénomènes connus, comme la précocité pubertaire croissante des fillettes ou leur hypersexualisation à l'influence des films, clips, émissions de télé-réalité à bimbos et autres publicités-objectivant-la-femme.

Dans le fait que les filles d'aujourd'hui ont leurs règles plus tôt, davantage de partenaires que les générations précédentes et manifestent un goût plus prononcé pour les pratiques sexuelles dites "à risque", il faut peut-être et avant tout y voir le signe d'un profond bouleversement des structures familiales. Et la bonne nouvelle, c'est que ces filles ont toutes les ressources pour s'y adapter. À la société, ensuite, de décider si cette adaptation est un mieux ou un pire.