Source: Université de Montréal
Dans un article qui doit paraître cette semaine dans la revue Physical Review Letters, une équipe formée de quatre étudiants, deux chercheurs postdoctoraux et trois professeurs du département de physique de l'Université de Montréal présente les résultats d'une étude de longue haleine dans laquelle ils comparent directement et sur des échelles de temps comparables l'évolution d'un matériau tel que mesuré en laboratoire avec des simulations prenant en compte les forces interatomiques et les déplacements de tous les atomes d'un système qui en contient quelques dizaines de milliers.

Le système en question est constitué de silicium parfaitement ordonné dans lequel on introduit une série de défauts générés par le bombardement d'atomes et dont on a suivi l'évolution, pour se rendre compte qu'elle était contrôlée non par des processus entre atomes proches regroupés en "poches de défauts", mais plutôt par des effets à longue portée appelés déformations élastiques. Les simulations ont également permis de mettre en évidence un effet physique nouveau: à chaque fois que des défauts changent de configuration ou se recombinent, l'environnement énergétique dans lequel le système évolue est réinitialisé, expliquant du coup l'évolution observée pour ce système sur différentes échelles de temps.

Cette évolution, appelée relaxation logarithmique, est observée dans une grande variété de phénomènes naturels, incluant certains que l'on peut créer à la maison. Une feuille de papier que l'on froisse, par exemple. Au tout début, on observe aisément le mouvement de la feuille qui tente de se déplier (c'est-à-dire de "relaxer" vers un état de plus basse énergie). Plus tard, la feuille semble immobile mais si on l'observe attentivement, on voit qu'elle continue de relaxer, de plus en plus lentement et sur des échelles de temps qui peuvent atteindre des dizaines d'heures! Lorsqu'on trace le déplacement de la feuille en fonction du temps, on remarque que la relaxation suit une loi logarithmique - rapide au début et de plus en plus lente avec le temps.

Bien qu'expliqué pour un système complètement différent, les travaux de l'équipe de l'Université de Montréal pourraient changer la façon de voir ce type de problèmes.

Cette réalisation a requis de nombreuses innovations. Du côté expérimental, l'équipe formée de Yonathan Anahory, Matthieu Guihard, Dries Smeets et François Schiettekatte a développé un dispositif appelé nanocalorimètre capable de mesurer la chaleur libérée par l'évolution et la recombinaison de défauts produits en faibles nombres par le bombardement d'une petite quantité d'atomes à très basse énergie, sur une échelle de temps de l'ordre de quelques millisecondes. Cette percée expérimentale a ouvert la porte à une comparaison directe avec les simulations du mouvement des atomes par la technique d'activation et relaxation cinétique (TARC) développée par Laurent Karim Béland, Fedwa El-Mellouhi, Jean-François Joly, Peter Brommer et Normand Mousseau. Plutôt que de calculer les équations du mouvement de chaque atome - comme par la méthode classique de dynamique moléculaire qui permet de suivre l'évolution d'un système sur quelques dizaines de nanosecondes - la TARC détermine les milliers de possibilités pour un système d'évoluer à partir d'un état donné, et tire au hasard (?) parmi celles-ci afin de passer à un autre état.

Ainsi, plutôt que de rester piégée pendant des milliards de vibrations atomiques dans un état donné comme le ferait la dynamique moléculaire, la TARC permet d'explorer rapidement d'autres possibilités et d'y faire "sauter" le système. L'échelle de temps est fixée par la probabilité d'effectuer un tel saut. Ces simulations peuvent atteindre la seconde, soit plus d'un million de fois ce qu'il est possible de simuler par les méthodes traditionnelles. Avec TARC, les simulations sur des systèmes de milliers d'atomes deviennent donc comparables, pour la première fois, aux systèmes étudiés en laboratoire. Ont également contribué à ce travail, Jean-Christophe Pothier et Laurent Lewis, qui ont réalisé des simulations de dynamique moléculaire de la création et de l'évolution initiale des défauts dans les premiers instants suivant... le bombardement atomique.

Cette réalisation a été rendue possible grâce à la disponibilité, pour la partie expérimentale, des installations du Groupe de recherche en physique et technologie des couches minces (GCM), notamment son laboratoire de microfabrication et son laboratoire de faisceaux d'ions, et, pour les simulations, des ressources et du soutien en personnel de Calcul Québec. Ces installations et les chercheurs participant au projet ont bénéficié de l'appui financier du FRQ-NT, du CRSNG, de la FCI, de la Fondation des chaires de recherche du Canada et de NanoQuébec.