Et si l'agriculture était la voie du redressement économique de la France? Dans leur livre plaidoyer*, le géopolitologue Sébastien Abis et l'économiste Thierry Pouch y voient un atout économique majeur et un levier d'influence diplomatique. Une approche originale qui tranche avec la vision d'un secteur en crise.

Alors comme cela, l'avenir de la France passerait par son agriculture ? Sébastien Abis : Il y a peu de réflexion en France sur ce secteur qui reste souvent associé aux crises, dans l'esprit des politiques, des journalistes et d'une grande partie de l'opinion. Pour l'essentiel, le sujet fait les gros titres lors des manifestations de producteurs en colère ou à l'occasion des scandales alimentaires. Mais l'agriculture, ça marche ! Elle crée de la sécurité, du développement économique, de l'emploi et dynamise le commerce extérieur de la France. Les agriculteurs ne font pas un métier du passé mais au contraire plein d'avenir.

En quoi l'agriculture peut-elle constituer un atout géostratégique ? Thierry Pouch : La France connaît un relatif déclin économique, mais elle peut encore s'appuyer sur un secteur qui marche. Notre pays reste l'une des principales puissances économiques mondiales. Dans un premier temps, l'agriculture pourrait contribuer à stopper ce processus de déclin ; à long terme, elle pourrait nous permettre d'occuper une place de choix dans l'économie mondialisée. Car la production française, relativement peu exposée aux aléas climatiques, reste très solide. Pour mémoire, la France figure parmi les premières puissances céréalières (20% de la production en Union européenne) et possède un savoir-faire de haut niveau dans les produits laitiers, les spiritueux, la sylviculture, ou encore la recherche scientifique. Autant d'atouts qu'il faut valoriser.

S.A: Peu de pays sont capables à la fois de nourrir leur population et de placer des surplus alimentaires à l'export. La France est privilégiée. En 2012, les exportations de blé ont atteint 6,7 milliards d'euros, soit l'équivalent des 35 Rafales que la France espère vendre au Brésil. Tandis que cet hypothétique contrat fascine les médias, le milieu céréalier accomplit cette remarquable performance dans le silence. Au lieu de miser sur des secteurs où l'on n'est pas toujours compétitif - l'automobile, par exemple -musclons davantage les filières qui marchent ! A travers l'agriculture, la France dispose aussi d'un levier d'influence géopolitique important. Elle peut jouer le rôle de stabilisateur dans les relations internationales, notamment dans le bassin méditerranéen. Les émeutes de la faim, en 2008, ont provoqué des migrations " alimentaires ".  

Pourquoi cet atout reste-t-il si peu exploité? T.P : Les décideurs politiques se détournent sans doute d'un secteur considéré comme dépassé, estimant que l'avenir est à l'économie immatérielle et aux services. Les agriculteurs pourraient sans doute mieux communiquer. En attendant, c'est aussi à nous, économiste et géopolitologue, de prendre position.  

Quelles mesures concrètes et rapides préconisez-vous ? A.B : L'agriculture est un métier plein d'avenir, avec 70000 emplois à pouvoir. Il faut activer les leviers du côté du système éducatif pour sensibiliser la jeunesse à ces métiers. Il serait également judicieux d'utiliser l'argent public pour miser dans la recherche-développement. Je rêverai de voir que le prochain Livre blanc sur la Défense mentionne l'agriculture comme un pilier stratégique ! Ce serait la traduction d'un vrai basculement.