En quelques mois l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire l’alimentation, de l’environnement et du travail) a étonné par son audace sur les perturbateurs endocriniens déclarés suspects pour l’homme, sur son expertise concernant les OGM en se déclarant favorable à des études de long terme sur animaux, et plus récemment encore en déconseillant formellement la consommation de boissons énergisantes aux femmes enceintes, aux enfants et aux adolescents. Entretien avec Marc Mortureux, qui vient d’être confirmé à son poste de directeur de l’Anses.

L’Anses semble donner aujourd’hui le "La" sur beaucoup de sujets dans le petit monde des agences sanitaires, en allant très au delà du simple contrôle réglementaire des substances…

- Ce qui est vrai, c’est que nous n’attendons pas de nouvelles normes internationalement reconnues pour prendre en charge les problèmes qui se posent. Nous partons des questions qui surgissent, sur les OGM, sur les perturbateurs endocriniens, sur les ondes électro-magnétiques, et nous faisons évoluer nous-mêmes les méthodologies pour présenter les hypothèses de risques pour telle ou telle population ou dans telle ou telle condition d’exposition. C’est sans doute moins confortable que d’attendre des nouveaux standards pour savoir si c’est dangereux ou pas dans l’absolu, ou si il faut interdire ou pas. Mais ça permet de mettre chacun devant ses responsabilités à un moment "t" des connaissances.

Ce qui vous met souvent en porte à faux avec l’Efsa, votre homologue européenne…

- Cela peut arriver. Mais j’observe que sur le Bisphenol A, pour lequel les positions étaient très éloignées, les attitudes auraient plutôt tendance à se rapprocher. Nous avons longuement exposé notre suspicion concernant l’homme et particulièrement les bébés à naître aux experts de l’Efsa avant de rendre public notre avis. Je note que suite à cette réunion de travail, l’Efsa a repoussé la publication de sa propre expertise. Nous l’attendons pour la fin de l’année ou le début 2014.

Où situez vous le rang de l’Anses parmi les grandes agences sanitaires mondiales ?

- Sans forfanterie, nous sommes aujourd’hui perçus comme l’un de acteurs majeurs du mouvement de rénovation de la réflexion sur les risques sanitaires. Nous sommes multi-compétences avec nos 18 groupes d’experts spécialisés et nos modèles commencent à être reconnus comme productifs. Bien sûr la FDA américaine reste leader sur les médicaments, mais nous n’avons pas à rougir de nos compétences et de nos résultats sur l’alimentation. Par rapport à d’autres agences européennes, nous avons en outre un dispositif qui a l’avantage de la souplesse. Aux 1.350 agents de l’Anses, s’ajoute en effet 800 experts externes. 

Que pouvez vous dire sur l’avis très attendu concernant les radiofréquences qui sera rendu public le 15 octobre ?

- C’est un dossier extrêmement complexe où les études sont contradictoires mais où, je crois, que nous allons faire avancer là aussi la méthodologie. Par ailleurs un groupe de travail est constitué sur l’hyper électro-sensibilité. Ce n’est pas parce que nous ne comprenons pas le phénomène qu’il faut abandonner la recherche et laisser penser que ceux qui s’en disent victimes sont des fadas.

Sur les OGM, l’Anses s’était portée volontaire pour travailler sur un nouveau protocole qui permettrait une étude long terme sur les animaux suite aux travaux de Gilles-Eric Seralini. Un appel d’offres a été lancé en France. Vous serez de l’aventure ?

- Je ne peux pas rentrer dans les détails, mais je crois que oui. D’autant que cette perspective était inimaginable il y a encore un an ! Et une étude du même type est également envisagée  à l’échelle européenne. Là aussi les esprits évoluent. Et là aussi les méthodologies doivent bouger, surtout à l’heure où les OGM vont devenir de plus en plus sophistiquées. 

Le Conseil scientifique de l’Anses a procédé à un exercice de prospective à horizon 2020 et même jusqu’à 2050. Quelles sont les grandes cibles ?

- Vous savez, il faut du temps pour faire le tour, toujours provisoire, d’une question. Pour donner un avis sur le Bitume, il a fallut trois ans au groupe d’experts qui lui était dédié. Pour les boissons énergisantes, il a fallu deux ans. Il nous  faut donc largement anticiper notre réflexion sur les expositions auxquelles sont confrontées les populations.

Un des grands axes, consistera à inventorier les risques de l’exposition chimique en regard avec le développement des grandes pathologies pathogènes chroniques que l’on observe. Sur les pesticides, par exemple, nous poursuivons nos investigations et nous produirons l’année prochaine un avis sur l’exposition des travailleurs agricoles aux produits phytosanitaires. Particulièrement les viticulteurs et les arboriculteurs. Par ailleurs, nous continuons notre travail en étudiant dans la foulée du Bisphénol A les autres perturbateurs endocriniens, et comment ils peuvent être pris en compte dans le dispositif européen REACH.

Parmi les risques émergents, quels sont ceux sur lesquels vous vous mobilisez ?

- Voilà déjà trois ans que nous travaillons d’arrache-pied sur l’antibio-résistance. Et le fait même de rentrer dans ce dossier a même pu déjà accélérer une baisse des usages dans les hôpitaux sur certains antibiotiques. On peut aussi évoquer deux autres axes de grande importance :  les nanoparticules et la biologie de synthèse. Il y a aussi un gros travail en cours sur le Plan National Nutrition Santé, pour définir le plus précisément possible pour le public les apports nécessaires ou superflus dans l’alimentation. La liste est longue. Fin 2013, nous organisons un Colloque international de très haut niveau sur les effets chimiques conjugués, les effets  dits "cocktails", que l’on connaît encore très mal.

Comment savoir si une nouvelle substance chimique qui a un effet biologique avéré mais sans conséquence est susceptible ou non de provoquer un effet sanitaire ?

- Vaste question qui retient toute notre attention. Tout organisme est impacté par une nouvelle molécule. Parfois le vivant s’adapte mais parfois il se dégrade. Ce n’est pas parce qu’il  se "passe quelque chose" que ce quelque chose est forcément nuisible mais il faut parvenir à mieux cerner ses différents possibles. 

Quel bilan tirez-vous des règles strictes que l’Agence s’est imposée sur les conflits d’intérêt. Pas mal d’experts ont dans un premier temps renâclé…

- Oui, mais c’est aujourd’hui passé dans les mœurs parce que les experts ont compris qu’ils n’avaient rien de personnel à cette exigence dés lors que toute la communauté était soumise à la même règle de transparence.

Sur l’ouverture de l’Anses aux ONG et à la société civile ? 

- Le bilan est également très bénéfique. C’est même un grande richesse de l’Agence que de pouvoir faire en sorte que les scientifiques se confrontent avec des associations spécialisées comme Robin des toits, Réseau Santé Environnement ou Générations Futures qui nous obligent à répondre à des questions parfois difficiles. Ce sont des gens qui s’intéressent à ce qu’on fait, qui nous lisent, et qui nous permettent d’avoir un retour rapide sur les travaux en cours. Et c’est aussi un relais d’information dés lors que la confiance est acquise.

Vous vous dotez aujourd’hui de nouvelles technologies ?

- Oui, notamment pour le séquençage haut débit qui permettra de disposer des bibliothèques de gènes très utiles en cas d’alerte. On peut également envisager des recherches larges portant sur 250 contaminants alors qu’aujourd’hui, les outils disponibles ne permettent trop souvent que de trouver ce que l’on cherche !  

La sécurité sanitaire, c’est un métier d’avenir….

- Oui, elle engage des médecins, des vétérinaires, des toxicologues, de chimistes et de plus en plus aussi de bio-informaticiens pour exploiter des montages de données en gagnant un temps précieux.

Propos recueillis par Guillaume Malaurie - Le Nouvel Observateur