"A+", "pa grav", "koi". Les textos, messages envoyés par téléphone portable, sont très populaires auprès des jeunes Nord-Américains. Les utilisateurs, surtout des filles de 13 à 17 ans, en envoient ou en reçoivent en moyenne plus de 3300 chaque mois, selon une enquête de la firme Nielsen menée en 2010.

Doit-on s'inquiéter des caractéristiques linguistiques des textos? Sont-ils responsables de la faible compétence en français écrit des adolescents? Non, affirme Thierry Karsenti.

À son avis, les difficultés des jeunes Québécois à l'écrit ne datent pas d'hier. "Déjà en 1938, bien avant le rapport Parent, les actes du Congrès de la langue française au Canada rapportaient que "la classe étudiante ne maitrise pas suffisamment les habiletés linguistiques avant d'entrer à l'université"", souligne le professeur de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l'information (TIC) en éducation.

Le chercheur a effectué plusieurs travaux sur le sujet au cours des dernières années. Il s'est entre autres penché sur l'incidence des textos sur la compétence en français des jeunes. Les résultats de ses recherches réalisées auprès de milliers d'élèves du secondaire et de centaines d'enseignants de la région de Montréal confirment son hypothèse de départ. "On ne peut pas en imputer la faute aux technologies alors que les difficultés en français étaient présentes bien avant leur popularité", dit-il.

Le vrai problème, selon le professeur Karsenti, c'est plutôt la quantité phénoménale de textos envoyés chaque mois par les jeunes et les heures qu'ils passent devant l'ordinateur ou la tablette électronique. "Il y a lieu de se demander quand ils trouvent le temps de faire leurs travaux scolaires!

Vous avez dit "sociolecte"?

Plusieurs considèrent les messages textes des adolescents comme un affront à la langue. Pour Thierry Karsenti, il s'agit d'un "sociolecte propre aux usages des téléphones portables", comme il l'écrit dans un article paru en 2011 dans la revue Québec français. "Les textos sont caractérisés par des modifications scripturales qui tendent vers le langage oral et permettent d'accélérer la saisie du message envoyé, peut-on lire. En atteste l'économie syntaxique dont ils font preuve."

Ses travaux montrent différents effets des messages textes sur les habiletés des jeunes à l'écrit. Première surprise: il existe une corrélation positive entre le nombre de textos envoyés et la rapidité d'écriture dans la prise de notes de cours, laquelle serait de plus en plus efficace.

Le langage des textos n'interfère par ailleurs pas ou presque pas avec les apprentissages en milieu scolaire, les travaux étant toujours rédigés en français standard. "Il s'agit de deux genres, dont les formes linguistiques, les usages et les fonctions sont distinctes, indique Thierry Karsenti. Les jeunes font bien la part des choses à ce niveau." 

L'expérience à Eastern Townships

Une expérience conduite dans les Cantons-de-l'Est auprès de 2712 élèves (de la 3e à la 11e année) et de 389 enseignants à qui l'on a distribué des appareils sans fil en fait une démonstration éloquente. L'ordinateur portable aiderait les élèves à mieux maitriser le français écrit. "La qualité de l'orthographe et de la grammaire est favorisée par l'usage des ordinateurs portables en classe grâce aux correcteurs intégrés automatiques. En voyant directement les fautes apparaitre, l'utilisateur apprend de ses erreurs", signale Thierry Karsenti, qui a mené une enquête en 2012 sur ce projet éducatif.

Les tablettes ne permettent pas cette amélioration, précise le chercheur. Les deux technologies auraient toutefois une influence positive sur la motivation scolaire, la créativité, les méthodes de travail, la communication et le travail d'équipe. L'expérience à la commission scolaire Eastern Townships, où les élèves affichaient un taux de décrochage de 42 % il y a 10 ans, a permis de réduire presque de moitié l'abandon scolaire. La commission est passée du 67e rang au 23e sur les 69 commissions scolaires au Québec.

"Ce qui semble particulièrement jouer un rôle dans la réussite éducative des jeunes, c'est l'ordinateur portable, pour chaque élève et pour chaque enseignant, selon les contextes éducatifs et les besoins pédagogiques", conclut Thierry Karsenti. 

T ou ? Késs tu fé ?

Selon l'Union internationale des télécommunications, plus de 200 000 messages textes sont envoyés par téléphone portable chaque seconde sur terre. Les textos sont particulièrement populaires auprès des adolescents, qui ont rapidement imaginé un langage abrégé afin de communiquer plus efficacement entre eux. Mais comprendre leurs messages empreints d'anglais, d'abréviations et de fantaisie est aussi fastidieux que de pianoter sur le clavier d'un cellulaire.

"Leur communication n'est pas uniquement fondée sur l'anglais, même s'il est très présent. Abréviations, orthographe phonétique, modification de la syntaxe et de la grammaire, onomatopées et ajout de binettes ("bonhommes sourires") caractérisent le langage des jeunes sur Internet et les téléphones portables", explique le professeur Thierry Karsenti.

Ainsi écrit-on "a2min" pour "à demain" ou retranscrit-on des signes comme le smiley pour faire connaitre à son correspondant son humeur du moment.

La règle à se rappeler: on abrège! Le langage des textos est bref, direct et hybride.