L'avènement des nouvelles technologies et la multiplication des écrans amènent les jeunes à passer de moins en moins de temps devant la télévision. Ainsi, depuis quelques mois, un basculement statistique s'est effectué faisant désormais place à la "génération YouTube".

Atlantico : Selon une enquête du New York Times (voir ici), 34% des membres de la génération Y - les 18-34 ans - disent regarder des vidéos en ligne plutôt que la télévision. Comparativement, seulement 25% de la génération X, soit les 35-49 ans, et 10% des baby-boomers le font. Qu'est-ce que ces statistiques reflètent de la société actuelle ?

Michael Stora : Cela montre que depuis l'arrivée du haut-débit, on assiste à une forme de main-mise de l'être humain sur les images. Je veux dire par là que désormais nous ne sommes plus esclaves et dépendants d'une tranche horaire. Tranche horaire qui était devenue un rituel. Je pense aux  journaux télés, au film du dimanche soir, au match de foot, etc. Désormais, le téléspectateur peut manipuler l'image, il se retrouve acteur des programmes. La conséquence étant l'individualisation de ce rapport aux images. En effet, la majeure partie du temps, les vidéos en ligne sont vues seul : Une série US ou un programme en replay, les jeunes les regardent dans leur chambre.

De plus, l'interactivité via la télévision à la carte est venue complètement modifier notre rapport à la télévision. Désormais les journaux télé sont mis en ligne et on n'est plus obligé de regarder l'ensemble des reportages. On sélectionne. Ainsi disparaît la convivialité d'un programme. La télévision, comme la radio en son temps, avait une dimension fédératrice. Il existe de rares cas où la famille se retrouve encore réunie devant l'écran : les émissions de télé-réalité et les matchs de foot, essentiellement.

Les supports sont également en train de changer les usages. Selon une étude récente d’Interpublic (voir ici), les seconds écrans que sont les smartphones et les tablettes pourraient supplanter la télévision d’ici 3 à 5 ans, comment l’expliquer ?

D’une certaine manière, grâce à ces nouveaux supports, le téléspectateur se trouve dans l’interaction en continue. En cela, ces supports ne font que suivre la tendance de double liberté, d’autonomie et de mobilité, à laquelle aspirent les jeunes téléspectateurs. Ils satisfont leurs choix individuels de regarder les émissions qu’il souhaite.

De même, grâce à ces appareils, il sera désormais possible de converser sur Twitter ou sur Facebook simultanément à une émission de télévision. Cela facilite la culture du commentaire qui gagne les jeunes téléspectateurs : ils peuvent sur leur tablette entamer un flux de discussion avant même la fin d’une émission. De même qu’il leur est désormais possible de mettre la pause pendant n’importe quel programme. Ils ne ressentent plus de position de dépendance vis-à-vis du programme TV qui nous empêchait autrefois d'être libre dans nos mouvements.

A terme, la disparition de la télévision au profit de ces supports est assez évidente. Et ce mouvement risque de s’accélérer puisque Apple ou Samsung sont en train de développer leurs propres télévisions beaucoup plus interactives que nos télévisions classiques. En revanche, je pense que les programmes télés existeront toujours mais sous une forme différente.

Selon une étude Ipsos datant de janvier, chaque semaine, les 13-19 ans passent 13,5 heures sur le Web contre 11 heures et 15 minutes devant la télé. Musique, vidéo, jeux en lignes, quel est le comportement type d'un jeune de la génération YouTube sur Internet ?
Le fait de les appeler YouTubers relève d'une réalité. Mais au-delà du simple visionnage, ils les commentent, ils les notent, ils les « like » ou pas, et surtout eux-mêmes deviennent des podcasteurs. On sait que dans chaque lycée ou collège, il y a au moins un enfant par classe qui publie des vidéos en ligne. C'est une grande nouveauté qui explique en partie le délaissement de la télévision. L'interaction ne s'arrête pas là. Les jeunes regardent les éventuels commentaires, partagent sur les réseaux sociaux, et tout cela prend du temps. Ils s'investissent dans ces formes de "projets". Ils ont la main-mise dessus. Le phénomène des blogs était le prélude de ce qui se passe maintenant. Les jeunes s'expriment et utilisent les outils mis à leur disposition. La créativité est peut-être la meilleure réponse face à l'angoisse adolescente.

Est-ce seulement à cause de l'arrivée d'Internet que les jeunes fuient de plus en plus la télévision ? Les programmes correspondent-ils réellement à ce qu'ils en attendent ?
Effectivement, la plupart des grandes chaînes proposent rarement un programme à destination des jeunes. De même, les bonnes séries passent rarement aux horaires accessibles pour eux. Dès lors, ils se tournent vers les sites de streaming et le téléchargement. Ajoutez à cela que même si les écrans se multiplient, les jeunes n'ont pas tous une télévision dans leur chambre. En majorité, la télévision est toujours dans le salon, donc on regarde un programme commun qui n'intéressera effectivement pas tout le temps le jeune. Regarder une scène ou un programme un peu "olé olé" à côté de sa mère peut-être très perturbant pour un adolescent. Alors qu'il possède la plupart du temps son propre ordinateur et est son propre décideur.