En utilisant des technologies de pointe, des chercheurs états-uniens ont pu apercevoir pour la première fois la formation des souvenirs en direct dans le cerveau. Cette prouesse est un pas de plus dans l’univers mystérieux du système nerveux.

Au fil des années et des expériences vécues, le cerveau emmagasine des informations qu’il stocke dans un coin et peut réutiliser en cas de besoin. Ces souvenirs constituent ainsi une sorte de trame sur laquelle se greffent progressivement de nouvelles connaissances. Comment les souvenirs se forment-ils ? Cette question passionne les neuro-scientifiques du monde entier. Une équipe de l'Albert Einstein College of Medicine à New York (États-Unis) vient de percer une partie de ce mystère. Leur exploit est publié dans la revue Science et peut être observé dans une vidéo : http://youtu.be/6MCf-6It0Zg

« Les neurones sont très fragiles et il est difficile de les étudier sans perturber leur fonctionnement », expliquent les chercheurs. Dans cette étude, ils ont fabriqué des souris génétiquement modifiées pour lesquelles les molécules d’ARN messager (ARNm) codant pour la bêta actine ont été rendues fluorescentes. La bêta actine est une protéine structurale qui joue un rôle clé dans la formation de la mémoire. Elle agit en modifiant la structure des dendrites, les prolongements cellulaires des neurones, plus particulièrement au niveau des synapses, les zones de contact entre deux neurones.

Des molécules d’ARN se transforment en souvenirs

« Nous étions incroyablement et agréablement surpris de voir que l'introduction d'une molécule fluorescente attachée sur les ARNm ne perturbait pas l’activité des neurones, raconte Robert Singer, le directeur de cette étude. Il était enfin possible d’étudier la formation des souvenirs sans remettre nos résultats en question. » Il continue : « cette construction ne semble pas affecter les souris qui restent en bonne santé et sont toujours capables de se reproduire normalement ».

Les scientifiques ont tout d’abord stimulé l’hippocampe, le centre de la mémoire dans le cerveau, chez ces souris mutantes. Après 10 à 15 minutes environ, ils ont pu observer la formation de nouvelles molécules d’ARNm fluorescentes qui se déplacent du noyau vers les épines des dendrites. En regardant de plus près, ils ont également découvert que la synthèse des molécules d’ARNm codant pour la bêta actine variait dans le temps et dans l’espace : des paquets de molécules fluorescentes s’allument ou s'éteignent régulièrement des dendrites.

La mémoire, une histoire de paquets d’ARN messagers


Les auteurs ne se sont pas arrêtés là et ont voulu creuser un peu plus ce phénomène étrange. Leurs résultats ont fait l’objet d’une seconde publication scientifique, présentée elle aussi dans la revue Science. Cette nouvelle étude a quant-à-elle permis de décrypter le mécanisme par lequel les neurones synthétisent la bêta actine et contrôlent la formation des souvenirs. « Les neurones ont une structure particulière et doivent faire face à un problème logistique, explique Robert Singer. Les molécules d’ARNm de bêta actine doivent se déplacer et il est important que la cellule contrôle leur synthèse pour qu’elles soient présentes au bon moment, en bonne quantité et aux bons endroits. »

Comment les neurones parviennent-ils à réaliser ce tour de force ? Par des techniques de biochimie et de cytologie modernes, les auteurs ont montré que lorsque les molécules d’ARNm arrivaient dans les dendrites, elles étaient rapidement empaquetées dans des granules, ce qui les rendait inaccessibles à la machinerie de production des protéines. En d’autres termes, les ARNm ne sont pas synthétisés tout de suite en protéines bêta actine. Cependant, lorsque les neurones sont stimulés, les paquets se désagrègent et les ARNm peuvent alors être transformées en protéines et accomplir leur fonction, c’est-à-dire participer à la naissance d’un souvenir.

Ces découvertes montrent comment les neurones ont mis au point une tactique ingénieuse pour contrôler la synthèse des protéines mémoires et la formation des souvenirs dans le cerveau. Les chercheurs continuent de développer des technologies pour mieux observer et comprendre ce phénomène. Ils travaillent actuellement sur une protéine fluorescente capable d’émettre de la lumière à travers les tissus, afin d’étudier la mémoire au cœur du cerveau.