Beatles, Justin Bieber... Ils déchaînent l'hystérie chez leurs fans. Mais ce succès n'est pas uniquement dû à la qualité de leur musique. Comment notre cerveau réagit il aux ondes musicales ?

Atlantico : Il y a 50 ans, les Beatles devenaient les idoles de toute une génération. Aujourd'hui encore, leurs compositions sont des références. A en croire le Guinness des records, "Yesterday" est la chanson la plus reprise et la plus rediffusée au monde.  Mais manifestement ce succès n'est pas uniquement lié à la qualité de leur musique. Comment notre cerveau réagit il aux ondes musicales ? Est-ce les Beatles provoquaient quelque chose de particulier ?

Philippe Vernier : Le cerveau réagit à la musique de façon générale et le plus souvent de très positivement. On sait qu'aujourd'hui la musique, comme toutes les activités mentales (comme la lecture, les mathématiques ou l'orientation dans l'espace, par exemple), a des effets significatifs sur le cerveau. La musique a des effets particulier, puisque c'est une activité qui fait entrer en résonance de nombreux aspects du fonctionnement cérébral, tels que l'audition, l'abstraction, entre autres.

Évidemment, c'est aussi une activité qui provoque du plaisir.

On ne peut néanmoins pas dire, en dépit de cet affect presque universel qui est porté aux Beatles que le cerveau ait réagi différemment à leur musique : certains aiment les Beatles, d'autres non. Ce qui est général, c'est que les ondes musicales perçues par notre cerveau provoquent un stimulus sonore, réceptionné par le système limbique qui est associé aux émotions. Et ce quelle que soit la musique en tant que telle. Ce qui différenciait les Beatles se trouvait ailleurs.
D'après Business Insider (voir ici), ça n'est pas la seule explication de cette fameuse Beatlemania. L'apparence des Beatles jouerait aussi pour beaucoup : leurs cheveux, par exemple, renvoyaient une image de vitalité et donc de fertilité.

Le cerveau analyse-t-il tous ces petits détails dont nous n'avons pas conscience ?

Les Beatles ont travaillé une certaine image. C'est le mélange de la musique et de cette image qui plait à toute une partie de la population ; notamment parce qu'elle se retrouve dans cette image et l'ensemble des références culturelles qui y sont associées. Si on s'attarde sur d'autres codes culturels, tels que ceux associé au Punk ou au Classique, on s'aperçoit qu'ils sont tout aussi forts que ceux propres aux Beatles. Ils ne plaisent simplement pas à la même frange de la population, puisque ces franges ne se reconnaissent pas nécessairement dans d'autres codes.

Le cerveau analyse tous les détails. La vie n'est en rien différente de ce que le cerveau vit : rien n'existe pour nous même en dehors de notre cerveau. Il n'y a pas d'idée immatérielle sans cerveau ; et on peut dire les choses autrement. Notre monde n'est que ce que nous en percevons. Attention, néanmoins, car ce n'est pas parce que quelque chose est inconscient qu'il n'est pas perçu. Une très grande partie de notre activité cérébrale n'est d'ailleurs pas consciente, et heureusement. S'il fallait qu'on prenne conscience de tout ce qui est pour pouvoir agir ou percevoir, la situation ne serait pas vivable. Imaginez une seconde : je suis assis, inconsciemment je le sais et inconsciemment je sais aussi comment sont placés mes bras, ma tête, mes jambes, quelle est la vitesse de ma respiration, et cætera. S'il fallait penser à tout cela…

Concernant des détails comme le style vestimentaire ou la longueur des cheveux, cela rentre effectivement dans le champ d'analyse du cerveau. Cependant, l'interprétation qu'en donne Business Insider est culturelle, bien que basée sur une autre étude. Des cheveux longs ou fournis sont effectivement perçus comme étant signe de bonne santé. Cela ne veut pas dire qu'il faille en faire trop de cas. Il existe dans l'apparence extérieure un certain nombre de critères qui feront qu'un homme ou une femme est perçu comme beau ou comme belle, mais les critères qui sont vécus comme favorables dépendent encore une fois d'un code culturel bien précis.

Est-ce que cela veut dire que nous goûts sont fonctions d'analyses du cerveau ? Ne peut-on pas aimer quelque chose qui ne fait pas réagir le cerveau à proprement parler ?

Toute perception du monde prend son siège dans le cerveau, et en est éminemment dépendante. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous sommes conditionnés. En revanche, il y a des sortes de prédestination à préférer certains aspects physiques à d'autres.

C'est très difficile de savoir ça aujourd'hui. Ce qui est certain, c'est que ce qu'on apprend à trouver beau, laid, agréable ou désagréable est essentiel pour nos choix ultérieurs. En grandissant dans un certain monde culturel, on influence nos gouts, nos choix, pour toute l'existence. C'est d'avantage un aspect lié à l'apprentissage et au culturel qu'au déterminisme à proprement parler. Il existe toujours une part de déterminisme (on a aussi des gènes, et personne n'est fabriqué exactement pareil…) mais c'est aussi toujours rapport à la façon dont on interagit avec notre environnement.

De nombreuses fans hystériques fondaient en larmes, ou s'effondraient à l'arrivée des Beatles et pourtant les larmes comme la perte de conscience restent assimilés à la tristesse ou la maladie. Comment le cerveau gère ses comportements-ci ?

Toutes les émotions, quelles qu'elles soient, ont une traduction corporelle, extérieure. Comme on le dit souvent, les émotions forment le langage du corps : quand un individu est content, il sourit et quand il est triste il pleure. Pour autant, quand on ressent une émotion particulièrement forte, même si elle est très agréable, elle peut amener une réaction corporelle qui est culturellement vécue comme triste, ou désagréable. Qu'il s'agisse de la surprise ou d'une très grande joie, les deux sont tout à fait susceptibles de provoquer un évanouissement. C'est un mécanisme qu'on appelle le choc vagal qui n'est pas lié spécifiquement au plaisir ou à la douleur, à l'agréable ou au désagréable, mais à l'intensité du choc émotionnel. On peut également pleurer de joie ; c'est bien connu. La traduction est la même, mais en fonction des contextes la signification diffère.

Et concernant le succès de Justin Bieber…

D'une manière générale, le succès des artistes reposent sur des recettes semblables. Les codes diffèrent, prenons les exemples des Rolling Stones, de Queen, de Prince ou de Madonna : tous ont rencontré beaucoup de succès, notamment parce qu'ils avaient su créer une sorte d'univers, une marque de fabrique perçue comme très positive par leur public. C'est aussi le cas de Justin Bieber. Tout ça est très relatif au code culturel porté par l'artiste. Les mécanismes de l'engouement pour ce jeune, que je ne connais pas bien au demeurant, me semble similaires à ceux qui faisaient s'évanouir les jeunes filles à l'époque des Beatles.