Benjamin Billot

L'espèce de casque de ski que porte cette femme dans la vidéo qui suit est un prototype d'Oculus Rift. Le casque est branché sur un ordinateur qui fait tourner une simple simulation de montagnes russes. La réaction parle d'elle-même. La femme crie, se tient le ventre, rit nerveusement, comme si elle était réellement perchée sur un Grand-Huit à 200 mètres de hauteur. 

Des vidéos comme celles-là, il y en des dizaines sur YouTube. Elles entretiennent l'excitation qui règne autour de l'Oculus Rift qui devrait sortir avant la fin de l'année, pour un prix situé entre 300 euros et 500 euros. Et si le désir est puissant, c'est que l'attente a été longue. Depuis des décennies, la science-fiction nous fait rêver de réalité virtuelle. Ou plutôt cauchemarder. Tout en nous donnant secrètement envie d'essayer.

Dès les années 1960, les scénaristes de Star Trek imaginent une salle qui simule des univers pour amuser les membres de l'équipage du vaisseau l'Enterprise. Cette salle fait sa première apparition sur les écrans en 1974 dans l'épisode The Practical Joker. La réalité virtuelle est déjà menaçante: l'ordinateur central du vaisseau devient fou et au lieu d'une partie de plaisir, les joueurs doivent affronter une tempête de neige...

Les auteurs imaginent ensuite des technologies moins encombrantes qu'une salle de vaisseau. Dans Le Neuromancien de William Gibson, roman cyberpunk et culte publié en 1984, le héros connecte directement son cerveau au cyberespace grâce à des électrodes.

Procédé similaire pour Sylvester Stallone dans Demolition Man (1993). Au moment de la traditionnelle scène d'amour, le héros -qui vient du passé et ne connaît pas les us et coutumes de l'époque- s'aperçoit qu'il doit placer sur sa tête un casque muni d'électrodes. Horreur. Dans ce futur, l'amour ne se fait plus concrètement mais dans un univers simulé.

Pire encore, les amateurs de jeux vidéos dans eXistenZ (1999) de David Cronenberg connectent directement leur Pod –une espèce de console semi-organique– dans un orifice percé dans le bas de leurs dos. Le jeu est envoyé directement dans leurs systèmes nerveux et ils ont rapidement du mal à différencier ce qui est réel et ce qui est virtuel.

Matrix des frères Wachowsky (1999) parachèvera le cauchemar: les humains reposent dans une sorte de cocon rempli de liquide nutritif et leurs cerveaux sont branchés en permanence sur un univers virtuel. Ils n'ont plus accès au réel...

L'échec de Virtual Boy

Malgré ces noirs avertissements lancés par la fiction, la science a mis au point différents  dispositifs de réalité virtuelle: salles de divertissement dans les parcs d'attraction, casques de simulation d’entraînement pour les armées, salles spécialement aménagées pour les expériences scientifiques etc.

Mais tout cela est très coûteux et n'est pas destiné aux amateurs de jeux vidéo. Nintendo a bien lancé le Virtual Boy en 1995. Mais ce fut un échec retentissant. La console avait trop de défauts: elle fonctionnait sur piles, les jeux étaient en noir et rouge et les joueurs avaient la nausée au bout de 20 minutes...

Depuis la technologie a massivement évoluée mais les grosses boites de jeux vidéo n'ont pas retenté le coup.

Un jeune Américain dans son garage

L'innovation est finalement venue, une fois de plus, d'un Américain bricolant dans son garage. En 2012, Palmer Luckey, jeune californien de 19 ans passionné de réalité virtuelle, est frustré de ne pas trouver d'accessoire lui permettant de s'immerger dans ses jeux vidéo. Il décide donc de s'en fabriquer un lui-même.

Il place deux écrans LCD dans un casque de ski et rajoute deux lentilles qui vont créer une image stéréoscopique. Il obtient ainsi un casque avec un large champ de vision. Il ajoute ensuite des détecteurs de mouvement. Quand il joue, il dirige son personnage avec une manette, mais pour regarder autour de lui dans le monde virtuel, il lui suffit de bouger la tête, ce qui décuple l'impression d'immersion!

Satisfait de ce qu'il obtient, il présente son invention sur un forum dédié aux réalités virtuelles. John Carmack, légendaire créateur des non moins légendaires jeux vidéo Doom et Quake, lit son article. Il est intrigué et contacte Palmer Luckey qui lui envoie un prototype. Après essai, le programmeur est séduit: ça fonctionne!

2.500.000 dollars récoltés sur Kickstarter

Encouragé par l'enthousiasme de John Carmack, Palmer Luckey fonde une société: Oculus VR, et lance une campagne sur le site de financement participatif Kickstarter. Il demande aux internautes 250.000 dollars pour pouvoir fabriquer et commercialiser son idée. Au final, il en recevra dix fois plus, près de 2.500.000 dollars (1.826.277,5 euros)!

L'affaire est lancée. Oculus VR envoie rapidement le première version de son casque aux développeurs de jeux. Les tests apparaissent sur Internet et ils sont globalement positifs, même si tout le monde s'accorde à dire que l'Oculus Rift est loin d'être parfait.

Les investisseurs se penchent alors sur le projet et en décembre 2013, Mark Andreessen –qui a financé entre autres Facebook et Twitter– investit 75 millions de dollars dans Oculus VR. Une somme qui va permettre à l'entreprise de terminer son casque et de le distribuer.

Un gros problème de définition d'écran

Pourtant, si l'attente reste élevée, certains défauts de l'Oculus Rift n'ont pas encore été complètement gommés. Le principal est la définition des écrans. Ceux qui l'ont essayé sont unanimes: on voit trop les pixels.  L'image est de mauvaise qualité et ça nuit fortement à l'immersion. Dans la dernière version de son casque, Oculus VR a remplacé les écrans initiaux par un seul écran OLED de meilleur qualité. Mais est-ce que ce sera suffisant pour une expérience de jeu satisfaisante? La question reste en suspens.

Autre gros souci, des nausées peuvent apparaître au bout d'un certain temps d'utilisation, plus ou moins long selon la sensibilité du joueur. Le cerveau ne comprend pas pourquoi il a l'impression de bouger alors que son propriétaire reste immobile. La tête du personnage suit les mouvements de celle du joueur, mais le corps est lui toujours commandé par une manette. Dans certains jeux où le héros court à toute vitesse et saute de hauteurs inhumaines, le cerveau a bien du mal à suivre et ça se traduit par des nausées.

Oculus VR travaille à résoudre ce problème dont dépend en grande partie le succès du casque. On imagine mal des millions de joueurs se ruer sur un accessoire qui leur donne envie de vomir au bout d'une demi-heure...

Des soutiens de poids

Mais, malgré ces défauts, l'espoir reste vif dans la communauté des joueurs. Et notamment parce que les personnalités qui soutiennent la jeune entreprise pèsent lourd dans l'industrie vidéoludique. En particulier Gabe Newell, directeur de Valve, les studios à qui l'ont doit les jeux mythiques Half-Life et Portal.

Depuis le début, Gabe Newell soutient l'Oculus Rift. Et pour montrer ce que la réalité virtuelle peut devenir dans quelques années, Valve a fabriqué un prototype de casque non commercialisable, qui améliore encore la sensation d'immersion par rapport à l'Oculus Rift. Plus de problèmes de définition d'écran, ni de nausées. Les rares personnes qui ont eu l'occasion de l'essayer n'en reviennent toujours pas.

Au-delà du jeu vidéo

Autre signe encourageant, l'industrie du jeu vidéo n'est pas la seule à s'intéresser de près à l'Oculus Rift. La Nasa combine déjà la technologie Kinect de Microsoft et l'Oculus Rift pour faciliter le travail des manipulateurs de robots: http://youtu.be/pqNC72fgetc

L'US Navy expérimente aussi l'Oculus Rift pour projeter ses officiers sur le théâtre des opérations de guerre

On voit même des projets artistiques originaux se développer autour du casque: The Machine To Be Another permet ainsi de se glisser dans la peau d'une personne d'un autre sexe. (http://player.vimeo.com/video/84150219)

Et, c'était inévitable, les premières applications pornographiques ont déjà vu le jour (attention, lien NSFW)...

Les idées sont donc nombreuses et il y a fort à parier qu'au-delà de l'Oculus Rift, la réalité virtuelle n'a pas fini de faire parler d'elle.