Par Marie-Noëlle Delaby

À l'instar de l'animal, l'homme peut détecter la teneur en lipides des aliments uniquement par l'odorat.

Le gras est en odeur de sainteté chez les scientifiques. Après avoir attisé leurs papilles au point d'être en passe de devenir la sixième saveur officielle aux côtés de l'historique quatuor “salé, sucré, acide, amer”, et du plus récent “umami”, le gras intéresse désormais les chercheurs à cause de son odeur. Une équipe d'experts hollandais et américains s'est intéressée à cette voie potentielle de détection du gras qui pourrait nous aider à contrôler notre consommation de lipides.

De précédents travaux, menés par l'équipe du Pr Bruce Halpern de Cornell (New York), avaient récemment montré que l'homme était capable de distinguer plusieurs acides gras «volatils», c'est-à-dire sous une forme gazeuse indispensable à leur détection par l'odorat, et de faire la différence entre eux.

«Partant de ce constat, il nous semblait intéressant de déterminer si des individus, indépendamment de leur bagage culturel, étaient capables de déterminer de manière fiable la présence de graisses contenues directement dans de la nourriture par le biais de leur odorat», explique Sanne Boesveldt, premier auteur de l'étude publiée dans Plos One récemment.

Un signal chimique indéterminé

Leurs expériences ont été menées aux États-Unis et aux Pays-Bas avec des échantillons de lait entier, demi-écrémé et écrémé reconstitués à partir d'une même poudre. Les chercheurs ont ainsi obtenu trois laits dont les teneurs en matière grasse étaient respectivement de 0,125 %, 1,46 % et 2,8 %. Parmi les 78 participants ayant humé à l'aveugle ces laits, 62,6 % ont distingué correctement le lait écrémé du lait entier (contre 33 % si c'était le résultat du hasard).

«Les résultats montrent clairement que l'homme est capable de distinguer de faibles variations des teneurs en lipides dans une source naturelle, estime Sanne Boesveldt. De plus, nous n'avons pas trouvé de relation entre cette capacité et la masse corporelle ou les apports caloriques quotidiens moyens des sujets, ce qui suggère que cette capacité est indépendante des habitudes nutritionnelles».

Toutefois, les lipides alimentaires n'étant pas connus pour être volatils, il est peu probable que la graisse en elle-même soit la source directe de l'odeur détectée. «La grande majorité du gras que nous consommons se présente sous forme de triglycérides et ces molécules ne sont pas volatiles. Il est donc improbable que ces graisses soient directement détectées par notre nez», analyse le Dr Catherine Peyrot des Gachons, du centre de recherche Monell (Philadelphie) spécialisé dans l'étude du goût. Le signal chimique perçu par le nez demeure donc, pour l'heure, indéterminé. «Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas une composante olfactive dans notre détection du gras car, comme le supposent les auteurs, la détection peut être indirecte, poursuit la chercheuse. La présence des triglycérides pourrait en effet modifier notre perception d'autres molécules odorantes présentes dans le produit alimentaire. À l'heure actuelle, il est assez bien établi que les acides gras libres, également présents dans les produits gras mais en bien moindre quantité [à l'instar de l'acide butyrique qui donne son odeur caractéristique au beurre ndlr] peuvent être détectés dans la bouche et sans doute le nez, par les humains et les animaux».

Les chercheurs de l'équipe de Sanne Boesveldt envisagent désormais de rechercher le seuil de discrimination des teneurs en gras, à travers de futures études, afin de découvrir si face au gras, le flair est infaillible.