Source: CNRS

Une équipe du laboratoire Biologie fonctionnelle et adaptative (CNRS/Université Paris Diderot) s'est intéressée à l'implication relative des besoins énergétiques et du "plaisir" à manger dans la prise alimentaire. En étudiant un groupe de neurones chez la souris, les chercheurs ont observé que lorsque leur activité est compromise, le comportement alimentaire devient moins lié aux besoins métaboliques de l'organisme et plus dépendant des propriétés gustatives de la nourriture. Ces résultats pourraient permettre d'expliquer comment l'accès de plus en plus facile à des aliments appétissants peut contribuer à l'établissement de troubles alimentaires de type compulsif et favoriser le développement de l'obésité. Ces travaux viennent d'être publiés dans la revue Cell Metabolism.

Le comportement alimentaire est régulé par différentes voies nerveuses et le fait de manger est ainsi contrôlé à la fois par les besoins énergétiques de l'organisme mais aussi par le plaisir associé à la nourriture. Dans le contexte actuel où les nourritures riches sont de plus en plus présentes dans nos régimes alimentaires et où les pathologies comme l'obésité, le diabète et les maladies cardio-vasculaires sont en pleine expansion, il est important de comprendre dans quelle mesure ces différents circuits nerveux sont impliqués et connectés entre eux. Connaître les contributions respectives du circuit qui maintient l'équilibre énergétique et du circuit de la récompense (ou du plaisir) permettrait de développer des traitements plus efficaces contre ces maladies.

Une équipe de recherche s'est intéressée à un groupe de neurones de l'hypothalamus, baptisés NPY/AgRP, connus pour leur rôle dans la prise alimentaire. Ces neurones font partie du circuit qui maintient l'équilibre énergétique: ils promeuvent la prise alimentaire lorsqu'ils sont activés, en cas de jeûne ou d'hypoglycémie par exemple. Ils ont donc jusqu'ici été considérés comme des cibles de choix pour la mise au point de traitements contre l'obésité. En étudiant des souris privées de ces neurones, les chercheurs ont démontré que ceux-ci sont essentiels pour déclencher la prise alimentaire lorsque la nourriture n'a pas de valeur hédonistique forte et constitue simplement une réponse aux besoins métaboliques. En revanche, ils contribuent moins à la prise alimentaire lorsque la nourriture est très "appétente", riche en graisses et en sucres.

En effet, lorsque ces neurones sont absents ou inhibés, les souris consomment moins la nourriture standard, même après un jeûne. A l'inverse, elles vont se nourrir normalement si on leur présente des aliments riches en graisses et en sucres. Une série d'expériences a montré que, lorsque l'activité des neurones NPY/AgRP est compromise, l'hormone qui les stimulait va activer à la place des neurones impliqués dans le circuit de la récompense. Cette voie nerveuse fonctionnant à la dopamine prend donc le relai et dirige le comportement alimentaire. Il en résulte une façon de se nourrir perturbée, déconnecté des besoins énergétiques de l'organisme et essentiellement dépendante du plaisir provoqué par les aliments.

Les souris étudiées consomment alors les aliments gras et sucrés en plus grande quantité et prennent du poids. Leur comportement alimentaire est aussi beaucoup plus sensible aux facteurs extérieurs comme le stress. Dans l'ensemble elles constituent un bon modèle de ce que les anglophones appellent le "comfort feeding" ou le fait de manger pour se réconforter.

Dans le cas des souris de cette étude, l'activité des neurones NPY/AgRP est altérée suite à une intervention génétique mais une exposition continue à des nourritures riches pourrait avoir des conséquences similaires en induisant une désensibilisation de ces neurones au profit d'un contrôle par le circuit nerveux de la récompense. Les habitudes alimentaires qui en résultent, dissociées du métabolisme, contribuent à l'établissement de troubles de type compulsif et favorisent le développement de l'obésité. Ces résultats apportent donc un éclairage nouveau sur le rôle des neurones NPY/AgRP dans le maintien de l'équilibre énergétique. Ils indiquent également qu'agir au niveau pharmacologique sur ces neurones pour traiter l'hyperphagie pourrait se révéler contre-productif.