Origines de la vie: le point sur les enzymes ancestrales
Par Benje le vendredi, septembre 11 2009, 22:23 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CEA
Depuis 1995, des chercheurs du Laboratoire de Cristallographie et
Cristallogenèse des Protéines (Institut de Biologie Structurale
CEA/CNRS/UJF, Grenoble) s’intéressent à une classe de protéines
capables de métaboliser différents gaz:
les métalloenzymes. Leur connaissance peut-elle nous permettre de mieux
comprendre l’origine de la vie ? Peut-on développer des applications
biotechnologiques s’inspirant du fonctionnement de ces enzymes ? Autant
de questions que se posent les chercheurs du monde entier. Juan C. Fontecilla-Camps et son équipe ont notamment participé
à faire progresser la compréhension des rapports existant entre
structure et fonction chez un nombre important de ces enzymes, ce qui leur a valu une solide réputation
internationale concrétisée par la publication de 3 des 11 articles les
plus cités dans le domaine.
Reconnaissant cette longue expertise, la revue Nature a invité ces chercheurs à faire une synthèse des connaissances dans ce domaine pour sa rubrique Insight.
Sortie en ligne le 12 août cette revue décrit plusieurs enzymes
capables de métaboliser des gaz tel que l’hydrogène (H2), le monoxyde
de carbone (CO), le dioxyde de carbone (CO2), l’azote (N2) et le méthane (CH4), et met ces résultats en perspective pour tenter de définir le lien qui unit ces protéines à la chimie des origines de la vie.
L’hypothèse la plus populaire sur les origines de la
vie, dite "autotrophique (l’autotrophie caractérisant un organisme capable de synthétiser de la
matière organique à partir de matière inorganique, contrairement aux
hétérotrophes qui
doivent absorber de la matière organique préalablement synthétisée)", postule que le métabolisme primordial
s’est développé sur des surfaces minérales composées de fer et de
soufre dans des conditions réductrices (conditions chimiques favorisant le gain d’électrons). Ainsi, des réactions
mettant en jeu des sulfures de fer auraient généré de l'hydrogène, qui
se serait combiné avec le dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère pour former des molécules organiques. Lors du développement de la terre,
il y a entre 4,6 et 3,5 milliards d’années, l’atmosphère était
probablement riche en gaz tels que l’H2, le CO et le CO2, et les
océans, très chauds par endroits, étaient relativement riches en ions
métalliques tels que le Fe2+ et le Ni2+. Les organismes
photosynthétiques n’apparaissant que vers 2,2 milliards d’années, le
biotope de l’époque devait prospérer en absence d’oxygène et
indépendamment de l’énergie solaire. On pense actuellement que les
premiers organismes utilisaient l’H2 comme source d’énergie et le CO2
comme source de carbone.
De telles conditions environnementales se retrouvent dans certaines
sources thermales, au plus profond des océans, comme dans les fumeurs
noirs (sorte de geysers sous-marins localisés sur les
dorsales océaniques, par lesquels l’eau du manteau terrestre est
transférée aux eaux océaniques; l’aspect noir de ces eaux provient de
la couleur noire des sels de fer et de manganèse qu’elles contiennent), ou dans le système digestif des animaux. Certains organismes
actuels sont capables de survivre dans ces conditions, essentiellement
grâce à l’énergie obtenue à partir des métalloenzymes. Que sait-on
aujourd’hui de la structure, de la complexité et du mécanisme d’action
de ces enzymes ? Grâce à l’apport de la spectroscopie, de la
cristallographie aux rayons X, des études de modélisations
informatiques et chimiques, certains aspects du fonctionnement et de la
nature de ces enzymes ont pu être caractérisés. A partir de quelques
exemples étudiés très en détail, les points essentiels de ces
connaissances sont rappelés et discutés, avec en perspectives une
avancée dans la compréhension des origines de la vie et le
développement potentiel d’applications biotechnologiques. Structurée
autour de 6 parties, la revue aborde sous différents angles les
connaissances sur la structure et la synthèse de ces enzymes:
* Les sites actifs: Le site actif d’une enzyme est le lieu ou se
déroule la réaction qu’elle catalyse (action d'une substance - le catalyseur - qui augmente la vitesse d’une réaction chimique). Les caractéristiques des
sites actifs des différentes métalloenzymes sont désormais assez bien
connus. Cette partie fait le bilan des connaissances sur leur structure
en soulignant leurs points communs et leurs différences.
* La catalyse: A partir de données expérimentales et de
modélisations théoriques, combinant résultats et hypothèses, cette
partie aborde les mécanismes possibles de la catalyse de chacune des
sept métalloprotéines présentées dans la revue.
* Structure et tunnels: Cette partie rassemble les données sur la
structure des enzymes. Leur analyse révèle qu’elles sont plus ou moins
complexes, allant de structures monomériques, c'est-à-dire constituées
d’une seule unité de base ou chaîne polypeptidique, à des assemblages
multimériques composés de plusieurs monomères différents. Ces enzymes
possèdent dans leur structure des tunnels qui permettent l’accès et/ou
la sortie des gaz au niveau du site actif. Cette partie aborde les
connaissances actuelles sur les mécanismes et la vitesse de diffusion des gaz à l’intérieur des tunnels, ainsi que sur leur régulation par des changements de structure des protéines.
* Biosynthèse des sites actifs: Les modalités de synthèse et
d’assemblage du site actif à l’intérieur de la protéine peuvent
également varier selon les enzymes. Comprendre les différentes étapes
de cette biosynthèse peut à la fois permettre de mieux comprendre
l’évolution et de développer des applications biotechnologiques
potentielles.
* Synthèse de petites molécules analogues (molécule ayant les mêmes propriétés structurales ou fonctionnelles que la molécule d’intérêt): Cette partie
détaille les recherches visant à synthétiser des composés s’inspirant
des sites actifs de ces métallo-enzymes, avec à la clé le développement
d’applications biotechnologiques potentielles. Par exemple, la mise au
point d’hydrogénases utilisant le nickel ou le fer à la place du
platine, rare et cher, serait d’un intérêt majeur pour améliorer la
production industrielle d’hydrogène et ainsi faire face à la demande
croissante de la société.
* Les perspectives: Maintenant que la plupart des sites actifs de
ces enzymes ont été caractérisés, les nouveaux challenges vont
consister en la caractérisation de la structure des intermédiaires des
réactions afin d’affiner le mécanisme d’action des enzymes et de
comprendre comment se fait la biosynthèse du site actif. Chacune de ces
avancées nous rapproche de la compréhension des origines de la vie.